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Dans cette page retrouvez les textes que vous
nous avez envoyés, mais aussi une sélection d'articles
parus dans les bulletins de l'Association : |
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Les filles des années 50 aux Récollets, de Micheline DACHEUX |
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Voilà les Récollets, de Pierre CHOPIN |
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Ma scolarité aux Récollets, de André BEUZON |
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Le Vent d'hiver, de Jean GUÉRIN |
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Le Jardin des Plantes, de Micheline DACHEUX |
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Souvenir... Une leçon peu suivie, de Micheline DACHEUX |
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Violence dans les Écoles, de Micheline DACHEUX |
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L'ordinateur et l'Association, de Micheline DACHEUX |
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La fête des Récollets, de Micheline DACHEUX |
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Marcel APPEAU, de Pierre GOUBERT |
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Merci Monsieur POURRIN, de Micheline DACHEUX |
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Marcel POURRIN, de Paule TROUBAT |
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Nostalgie, de Paule TROUBAT |
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Sur le chemin de l'école, de Claude BOELDIEU |
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Un homme se penche sur son passé, de Abel MAILET |
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Récollets-Années 20, de Pierre GOUBERT
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Les Conquistadores, de Gérard BRECQ |
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CROQUIS, de Roger PAPILLON |
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Les filles des années 50 aux Récollets
de Micheline
DACHEUX, les Récollets 1951-1954
Les filles des années 50 aux Récollets
----------Dans
les années 50, les quelques filles "débarquées"
dans cette traditionnelle école de garçons des
Récollets, étaient bien déroutées de se
retrouver dans ce milieu inhabituel (A l'époque, la
mixité n'existait pas dans les écoles, les
collèges et les lycées jusqu'en terminale). Nos nouveaux
camarades étaient également bien intrigués par
notre présence, mais ils étaient en nombre et prenaient
des airs moqueurs et supérieurs !
----------Si,
dans les classes, il n'y avait pas de différence dans le
travail, à part le comportement des professeurs : ceux-ci
tutoyaient les garçons, les interpellaient par leur patronyme et
les rudoyaient parfois très fortement ; par contre, les filles
étaient vouvoyées et appelées "mademoiselle" avec
nom et prénom et n'étaient punies que par des copies de
lignes et des séjours sous la fameuse "Marquise".
Par contre, la cour de récréation restait le domaine des
garçons ; Ils y organisaient leurs jeux et ne nous invitaient
pas à les partager ; Aussi, nous passions ces moments de
détente à nous promener à plusieurs, bras-dessus,
bras-dessous en faisant le tour de la cour.
----------Quand
nous coupions un jeu, nous nous faisions fustiger. Parfois, les jours
de pluie, quand nous passions dans une flaque d'eau, (combien nous
étions naïves et bêtasses !) ils s'esclaffaient en
ricanant et affirmaient avoir vu le reflet de nos dessous dans l'eau et
nous poussions des cris scandalisés en resserrant
précautionneusement nos jupes (Aucune fille ne portait le
pantalon et même en hiver, il était fort rare de porter
des chaussettes ou des bas, nous avions des socquettes et des mollets
bleuis par le froid).
----------Il
arrivait, quand le temps était vraiment maussade, de nous
réfugier dans la cantine auprès de Mme Gohier la
cantinière, et nous goûtions la chaleur du lieu. Les
effluves des repas préparés dans les grandes marmites,
n'étaient peut-être pas des plus raffinées, mais
elles titillaient bien agréablement nos narines en ces fins de
matinées. Hélas, souvent un professeur surpris de ne plus
nous voir sur la cour, venait nous déloger de cet endroit
douillet.
----------Jeanine
était la moins timorée de nous toutes, elle
répondait facilement et avait beaucoup d'aplomb auprès
des professeurs. Un jour, en géométrie, elle se plaignit
que le problème proposé était trop difficile. M.
Gobin lui répliquât : "Vous dites "c'est facile " et le
problème est à moitié trouvé !"
----------Quelque
temps plus tard, M. Gobin rendant des copies sourit malicieusement
à Jeanine : "Je vous ai quand même mis zéro !"
Jeanine avait remis un devoir avec simplement sur sa feuille : "(c'est
facile) 2 = problème résolu".
----------Un
jour encore, Jeanine nous insupportait en déclamant "C'est ma
fête aujourd'hui, c'est ma fête !" Avec un camarade, nous
eûmes l'idée saugrenue de lui composer un bouquet avec
carottes et poireaux, et de le punaiser à l'intérieur de
son bureau. Quand M. Mercier, pendant le cours, demanda qu'on sorte les
cahiers, Jeanine souleva son bureau et le referma vivement, se retenant
de rire, elle recommença, et comme elle avait le rire facile,
elle pouffa.
M. Mercier descendit de l'estrade et vint à son tour ouvrir le
bureau ; Nous nous attendions au pire, mais chose étonnante, il
sourit en voyant pendouiller ce superbe et inattendu bouquet. Jeanine
prit son cahier, referma le bureau et le cours d'anglais continua comme
si rien ne s'était passé.
Ouf ! Nous l'avions échappé belle !
Où que tu sois Jeanine, après ces 60 ans d'éloignement et de silence,
On te dit quand même, aujourd'hui... "Bonne fête"
Micheline DACHEUX
(Texte publié dans le bulletin n° 26 - Avril 2010)
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Voilà les Récollets
de Pierre CHOPIN, les Récollets 1932-39
Voilà les Récollets
....Je
revois la petite cour, les très jeunes chez Mme BOUTREUX. De la
seconde classe, j’ai oublié le nom du maître
(mea-culpa). Puis celle de M. THARAULT, béret noir, blouson de
cuir, ancien aviateur de la guerre 14. Son observateur,
artisan-peintre, habitait rue Pascal. La classe de M. BOURON,
celle de mes débuts.
....La
grande cour : le père ROBERT, son chapeau à larges bords,
son cornet-à-pistons dont il jouait lorsqu’il nous
apprenait « Il pleut bergère ». M. LETOILE, ses
qualités d’enseignant, son chapeau rabattu des deux bords.
Classe du « certif » M. BOURON, bon et dévoué
maître. Je n’avais pas encore douze ans lorsque je fus
reçu à l’examen avec mention.
....Enfin,
préparatoire et cours complémentaire, univers nouveau,
des professeurs : MM. BOUTREUX, BRICARD, POURRIN, FAUCHER, les
profs de musique et d’éducation physique.
L’école industrielle, le bois, le plein air. Sans oublier,
bien entendu, nos directeurs : M. NOYER, grand et sec, M. BOUTREUX et
sa barbiche.
....Un
souvenir : quelle année ? Sans doute 1946 ou 1947.
Détaché à Berlin je revins passer quelques
jours chez mes parents. Dans une rue, près de l’Ecole de
Cavalerie, j’aperçus M. BRICARD et son épouse.
J’accourus et je dis : « M. BRICARD ! M. BRICARD ! ».
Il se retourna et, tout essoufflé, je lui dis : « M.
BRICARD, vous m’avez beaucoup apporté ». De grosses
larmes coulèrent le long de sa moustache et de sa barbe que je
fis semblant de ne pas voir.
....Voilà les Récollets !
Pierre CHOPIN
Les Récollets 1932- 1939
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"Ceux qui ont assisté à la rencontre d’octobre 1995 ont vu les images
d’une cassette vidéo tournée au cours de l’une des premières assemblées
générales de l’association par notre camarade Pierre CHOPIN. Ce fut
l’occasion pour lui de se remémorer les Récollets….avant la deuxième
guerre mondiale. Voici donc ses souvenirs de l’école, de son
ambiance, de ses professeurs et maîtres."
Je revois la petite cour, les très jeunes chez Mme
BOUTREUX. De la seconde classe, j’ai oublié le nom du maître
(mea-culpa). Puis celle de M. THARAULT, béret noir, blouson de cuir,
ancien aviateur de la guerre 14. Son observateur,
artisan-peintre, habitait rue Pascal. La classe de M. BOURON,
celle de mes débuts.
La grande cour : le père ROBERT, son chapeau à
larges bords, son cornet-à-pistons dont il jouait lorsqu’il nous
apprenait « Il pleut bergère ». M. LETOILE, ses qualités
d’enseignant, son chapeau rabattu des deux bords. Classe du
« certif » M. BOURON, bon et dévoué maître. Je n’avais pas
encore douze ans lorsque je fus reçu à l’examen avec mention.
Enfin, préparatoire et cours complémentaire, univers
nouveau, des professeurs : MM. BOUTREUX, BRICARD, POURRIN,
FAUCHER, les profs de musique et d’éducation physique. L’école
industrielle, le bois, le plein air. Sans oublier, bien entendu, nos
directeurs : M. NOYER, grand et sec, M. BOUTREUX et sa barbiche.
Un souvenir : quelle année ? Sans doute
1946 ou 1947. Détaché à Berlin je revins passer quelques jours
chez mes parents. Dans une rue, près de l’Ecole de Cavalerie, j’aperçus
M. BRICARD et son épouse. J’accourus et je dis : « M.
BRICARD ! M. BRICARD ! ». Il se retourna et, tout
essoufflé, je lui dis : « M. BRICARD, vous m’avez beaucoup
apporté ». De grosses larmes coulèrent le long de sa moustache et
de sa barbe que je fis semblant de ne pas voir.
Voilà les Récollets !
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Le Vent d'hiver
de Jean GUÉRIN, les Récollets 1955-57, 1960-65
Le Vent d'hiver
En
1957 nous quittons Saumur et la Rue de la Manutention, pour la
Cité des Moulins à Bagneux. Mes parents ont fait
construire une maison dans ce lotissement qui a poussé dans
les prés, les vergers et les carrés de vigne, sous l'impulsion du
maire Louis Mazé.
Je me souviens très bien de ce déménagement. Plus
la date approchait, plus nous étions énervés. Nous
allions quitter nos deux fois deux pièces pleines de souris,
pour une maison neuve et un jardin... le rêve ! Et en plus il y
avait un garage. Dans l'immédiat il servirait à abriter
nos bicyclettes, car à cette époque les voitures
étaient rares chez les particuliers. Mais le nec plus ultra
à nos yeux, c'était la salle d'eau et les toilettes !!
Fini de faire chauffer l'eau et de se laver dans le grand bac en zinc
devant la cuisinière, fini de courir dans la cour pavée
par tous les temps pour aller dans ces affreux cabinets
nauséabonds où l'on croisait de gros rats d'égout.
Ce changement était un véritable luxe.
Le jour "J" nous fûmes debout de bon matin. Nos parents, qui
n'avaient pas dormi de toute la nuit, étaient déjà
affairés à regrouper les caisses de vaisselle et d'objets
divers devant la fenêtre de la cuisine. Nous habitions au
rez-de-chaussée, et le moment venu, il n'y aurait qu'à
l'ouvrir pour tout mettre dans la cour.
C'était un samedi du mois de mai, il faisait un joli temps,
frais mais prometteur. Les innombrables martinets qui rayaient le
ciel dans tous les sens, lançaient depuis longtemps leurs
piiiiiiiii ! piiiiiiii ! stridents. La journée semblait vraiment
idéale pour un déménagement réussi.
Bientôt arriva notre voisin François, grand pêcheur
de brochets et de sandres. Le café bu avec mes parents, ils
commencèrent à démonter les lits, l'armoire et
désosser la cuisinière.
Vers huit heures arriva Denis, un ami de Papa,
vigneron à Varrains, accompagné d'un autre
homme. C'étaient eux qui étaient chargés de
convoyer nos meubles jusqu'à notre nouvelle maison. Ils
n'avaient pas de camion, mais deux chevaux attelés à des
charrettes à foin. Nous les avions entendu arriver de loin. Les
sabots des chevaux et les roues ferrées des voitures ne
passaient pas inaperçus, et depuis Varrains ils avaient dû
en réveiller du monde ! Mais à l'époque, les
chevaux étaient encore fréquents dans les rues des villes
et leur passage n'étonnait personne.
Denis conduisait Bayard, cheval blanc obéisssant, fort et intelligent.
Après concertation entre les hommes, il fut décidé que c'était lui qui entrerait
dans la cour pour charger les meubles de la cuisine et de la salle
à manger, l'autre attelage restant dans la rue pour charger les
lits et le mobilier des chambres.
Faire entrer Bayard et sa charrette dans la cour ne fut pas une petite
affaire, car la rue était
étroite, le trottoir montait, et l'entrée du
portail n'était pas large. Denis pris en main le cheval
qui roulait ses gros yeux, exprimant son inquiétude. Il lui
parlait doucement pour le mettre en confiance. Dans la
manœuvre le mors lui tordait la bouche, mais l'homme et l'animal
qui avaient tant travaillé ensemble, se connaissaient bien et se
faisaient réciproquement confiance. Bayard
était
vraissemblablement plus à l'aise en campagne que dans l'univers
minéral de la ville. Ses jambes nerveuses martelaient le sol, et
ses sabots glissaient parfois sur les pavés polis par l'usage.
Après plusieurs manœuvres pour se mettre en ligne, d'un
coup de reins il tira la charrette dans la cour où Denis
lui fit faire faire aussitôt demi-tour, pour qu'il soit
prêt à
repartir le moment venu.
Le chargement des deux charrettes était une affaire
sérieuse, il convenait surtout de tout bien caler et d'arrimer
convenablement les meubles, les caisses, la cuisinière, la
machine à coudre, le poste de TSF et les outils de jardin pour
ne rien perdre, ni en ressortant, ni en
route. Quand tout fut encordé, vérifié, on
prit par la rue de Lorraine, la rue d'Alsace et la Place Maupassant, la
direction de Bagneux.
Denis m'avait fait monter dans la charrette à côté
de lui. Je le connaissais déjà pour être
allé avec Papa faire les vendanges chez lui au Clos Bonnet ou
ailleurs. Il sentait une odeur mélée de
vêtements mouillés, de vin, de foin, de sueur, de
terre, de
cheval, de souffre, de cave. Je l'aimais bien, il était gentil
et bon. En
regardant ses mains tachées, abimées par le travail, on
pouvait lire sa vie de labeur, son tempérament d'homme dur au
mal.
Le voyage se passa bien au rythme lent des chevaux. Les deux attelages
arrivèrent à bon port malgré la rue de
Bagneux dont la chaussée pavée était très
bombée. Il ne fallait pas la prendre trop au bord, au risque de
verser les affaires chargées sur les charrettes. Cette route
était un piège à cyclistes, surtout par temps de
pluie. On devait rouler pratiquement au milieu de la
chaussée pour ne pas glisser sur les pavés disjoints vers
le caniveau et les bordures de trottoirs qui étaient très
hautes..
Arrivé à destination tout le monde s'activa. Les hommes
commencèrent à vider les charrettes et porter les
affaires dans la maison sous l'œil inquiet de Maman : n'y
avait-il rien de cassé ?
Quand tout fut déchargé et sommairement installé,
que les chevaux furent abreuvés et pansés (Denis avait
emmené un sac de foin), on prit le temps de se reposer, et de
bien casser la croûte pour se remettre de tous ces efforts.
Dans l'après-midi, les déménageurs
repartirent. Denis m'emmena avec lui, et au bout de quelques centaines
de mètres il me confia les guides, et me laissa mener Bayard
après quelques explications rapides. Jamais je n'avais
imaginé une situation pareille. C'était
complètement inattendu, et merveilleux !
Après une rapide prise en main, je constatais que le cheval
était docile et répondait à la moindre
sollicitation, c'était magique. Denis me laissa mener
jusqu'à l'entrée du village de Munet où il reprit
les commandes pour traverser ce bourg étroit, et il me les
redonna après.
La route était devenue plus droite et le cheval n'avait
pratiquement plus besoin d'être dirigé. Il avançait
tranquillement de son pas régulier, comme par automatisme. En
faisant cette constatation je fus un peu déçu car j'avais
soudain le sentiment de ne servir à rien. Bayard s'en sortait
très bien tout seul et il aurait sans doute pu nous emmener
jusqu'à son écurie sans problème.
Déconcerté, je jetais un regard à Denis,
espérant trouver une réponse à cette question
intérieure. Je vis qu'il avait rabattu son chapeau sur ses yeux
et qu'il somnolait. J'étais donc seul, responsable de cette
charrette brinquebalante tirée par un cheval indépendant
qui avançait résolument au milieu de cette plaine
où poussaient des milliers de fritillaires pintades (que nous
appelions colchiques). Je voyais arriver le pont du Thouet qui de loin
ressemblait à une véritable barrière, car à
cet endroit la route montait beaucoup. Je commençais à
vraiment m'inquiéter. Comment se comporterait Bayard
dans cette montée sérieuse ? Que fallait-il faire ?
Devrais-je réveiller mon compagnon de route qui semblait dormir
d'un lourd sommeil ?
Arrivés au bas de la côte, je sentis sur mon bras la
main de Denis, tendue pour me reprendre les guides. Ouf !
j'étais sauvé. Le regardant, je vis un sourire de malice
dans ses yeux... Il avait fait semblant de dormir, s'amusant sans doute
de la situation. Il m'avait bien eu !!
Je restais chez lui jusqu'au soir jouer avec son fils, et il me ramena
à la maison en automobile. Il donna quelques bouteilles de
Breton et de Rosé de Cabernet à mes parents. Ils burent
un verre ou deux en parlant de la journée. Papa lui fit part de
ses projets qui étaient nombreux, notamment l'installation d'un
chauffage central au charbon, et au bout d'un moment, Denis nous dit au
revoir, monta dans son auto et rentra chez lui.
Pour un gamin de 8 ans, quelle formidable journée !
Le lundi suivant, je pris le chemin de ma nouvelle école. Nous
étions en mai, il ne restait plus que quelques semaines pour
arriver au terme de cette année scolaire 56-57.
J'avais fait la connaissance du Groupe Scolaire le jour où
j'étais venu avec Maman pour me faire inscrire. L'école
semblait neuve, les classes étaient grandes et claires avec du
mobilier moderne, des tableaux pivotants qui m'avaient
étonné. Les cours de récréation
étaient vastes, il y avait de la place pour courir, mais pas de
tilleuls... ça faisait vide et triste. De l'autre
côté du grillage qui coupait la cour en deux, il y avait
les filles. C'était très intéressant !
Ce jour de rentrée, je retrouvais à la
récréation du matin quelques voisins du quartier que
j'avais aperçus, car notre arrivée dans la cité
avait été remarquée. Au coup de sifflet du
directeur, tous les jeux s'arrêtèrent et les
élèves se mirent en rang. Classe après classe on
nous fit entrer dans les couloirs et chacun rejoignit son pupitre. Le
maître M. Lebouc, me désigna une place qui serait désormais la
mienne. J'étais le long de la fenêtre, d'où je
pouvais voir l'épicerie (à l'époque Le Brisset) et
le café du Dolmen. L'instituteur présenta "le petit
nouveau" et, après la leçon de morale du jour, il nous
fit sortir nos livres de lecture. Il commença à faire
lire les élèves les uns après les autres. Quand ce
fut mon tour, il énonça le titre du texte qu'il avait
choisi : "Le Vent d'hiver, page 56". Je ne connaissais pas ce texte
mais il ne me paraissait pas difficile. Lentement, mais sans
hésitation, j'arrivais à le lire en "mettant le
ton", comme j'avais appris à le faire aux Récollets. Le
maître fort surpris m'adressa ses félicitations et me
donna en exemple aux autres.
Qu'avais-je fait pour mériter tant d'éloges ? J'avais
huit ans, je savais lire couramment car on avait su m'apprendre, qu'est
ce qu'il y avait d'étonnant ?
A la rentrée de 1960, entrant en sixième, je retrouvais
les Récollets devenus Collège. Marcel Appeau, nouveau
directeur, avait pris la succession de Marcel Pourrin parti à la
retraite, mais l'esprit était resté le même.
Merci à tous, instituteurs, professeurs et directeurs, qui avez
réussi à nous inculquer avec tant de patience, la morale,
l'instruction et la droiture, malgré nos réticences.
Jean Guérin
Les Récollets 1955-57, 1960-65
A. SOUCHÉ - LA LECTURE COURANTE ET LE FRANÇAIS
Cours élémentaire 1 er degré
Librairie FERNAND NATHAN
35. Le Vent d'hiver
1. Hou ! hou ! hou! le vent souffle en tempête. Sa grande voix tour à tour gronde et gémit au dehors.
2. Il secoue les arbres, dont les branches craquent, s'entrechoquent et se brisent.
3. Il siffle sous les portes, hurle dans les cheminées, grince sur les toits.
4. Dans la rue, les passants courbent le dos sous la rafale. Parfois un
chapeau s'envole brusquement et roule sur la chaussée comme un
cerceau.
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Le Jardin des Plantes
de Micheline
DACHEUX, les Récollets 1951-1954
Le Jardin des Plantes
Quel
ancien des Récollets n'a pas gardé en mémoire ce
charmant jardin des plantes qui jouxtait notre école ? Nous le
traversions avec plaisir pour aller au Clos Coutard, lieu des exercices
sportifs et de détente.
Eté comme hiver, il
nous semblait merveilleux avec ses grands arbres exotiques. Un
chêne vert passait ses branches par-dessus le mur de
l'école et les instituteurs n'omettaient jamais de nous le
signaler quand le mot "yeuse' apparaissait dans une poésie. Un
énorme cèdre ombrait le grand bassin circulaire; Il fut
malheureusement déraciné au début d'un
après-midi par une forte tornade. Dans ce bassin, nageaient
carpes et poissons rouges en toute quiètude, une grille
l'entourant et le protégeant des jeunes enfants qui
auraient voulu admirer de trop près ces bestioles aquatiques.
Cette grille, n'était cependant pas infranchissable, car j'ai
ouï dire par des anciens des Récollets, qu'au cours d'un
hiver rigoureux qui avait gelé l'eau de ce fameux bassin,
quelques élèves de notre chère école,
avaient eu l'idée saugrenue de pousser au milieu du dit
bassin... la brouette des jardiniers ! La glace était
suffisamment solide pour supporter le poids d'une brouette, mais pas
celui d'un jardinier! Je ne sais pas comment s'est terminée
cette farce pour ses auteurs devenus par la suite d'honorables
Saumurois ?
Ce jardin était plein
de mystères. Il y avait des coins et des recoins formidables
pour se cacher. Quand nous allions au stade, nous nous attardions
souvent pour déchiffrer les mots gravés sur les anciennes
pierres tombales qui surplombaient les escaliers qui conduisaient vers
les grandes haies de buis et de hêtres. Dans les années
cinquante, ces haies servaient de vestiaires aux quelques
élèves filles qui embarrassaient les cours de gym
destinés plus précisément aux garçons.
Aussi, prenions nous tout notre temps pour nous mettre en tenue de
sport, assurées de ne pas être attendues de pied ferme pour
débuter le cours!
Les serres du jardin,
abritaient tous les semis des plantes qui ornaient les parterres de la
ville à la belle saison et le chef jardinier, M. Papillon
élevait de précieuses orchidées avec beaucoup de
passion. Le soir, pendant l'étude, nous guettions le moment
où les jardiniers apparaissaient sur la passerelle de la grande
serre, face aux classes : Ils déroulaient avec précision,
les paillons qui mettraient les plantes à l'abri de la
fraîcheur de la nuit. Pour nous, écoliers, cela signifiait
que l'étude arrivait à son terme, il était 19
heures.
Au fil des années, ce
jardin perdit une partie de son intérêt pour la ville, car
un semblant d'abandon s'abattit sur lui, il devint le repaire de
quelques chenapans qui brisèrent les vitres des serres à
jets de pierres ou de ballons ou qui vidèrent méchamment
les bassins de leurs hôtes. Les Saumurois hésitaient
à le traverser la nuit tombée. Depuis plusieurs
années de nombreux bruits couraient sur son devenir : il allait
être vendu, devenir une propriété privée,
des promoteurs s'intéressaient à lui... bref, des propos
bien alarmants.
Et puis, cette
année, à la cérémonie des voeux municipaux,
M. le maire a avancé le projet de réhabilitation de ce
jardin des plantes. Mon coeur a souri. Ce jardin fait partie des
souvenirs des anciens des Récollets, alors espérons sa
rénovation assez prochaine.
Micheline DACHEUX
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Souvenir... Une leçon peu suivie
de Micheline
DACHEUX, les Récollets 1951-1954
Une leçon peu suivie
Dans
la classe de 3ème, celle qui jouxtait le grand porche, quelques souris
taquines avaient pris l'habitude de s'y promener ; leurs déplacements
furtifs et silencieux nous amusaient pendant les cours, elles nous
étaient sympathiques.
Mais un jour, notre directeur,
monsieur Pourrin, accompagné d'un impressionnant employé de la ville,
genre égoutier, chaussé d'énormes bottes et muni d'un seau rempli d'une
mixture empoisonnée, fit déposer des appâts destructeurs dans les
placards de la classe. Nous étions "de service" un camarade et moi, et
avions assisté à l'opération. Au départ des deux visiteurs, et d'un
commun accord, nous éliminâmes ce piège perfide.
Ainsi, nos
souris continuèrent en toute tranquillité leur vagabondage à notre plus
grande joie. Un matin, le jeu se corsa ; Monsieur M.... professeur
d'anglais avait le haut du crâne très dégarni - cela fait très
distingué, dit on ! - et, assis sur la chaise perchée sur l'estrade, il
se renversa la tête appuyée contre le mur, au-dessus du lambris...
Soudain, une souricette pressée arpenta le fameux lambris. Nous avions
les yeux fixés sur elle, bien loin des verbes irréguliers de la langue
de Shakespeare. L'animal avait sans doute l'habitude de changer de
placard en empruntant ce chemin ; mais cette fois, elle trouvait un
obstacle sérieux.
Arrivée à la hauteur du crâne de notre
mentor, elle hésita puis s'arrêta. Intérieurement, nous parions :
"Passera ? Passera pas ? "Imaginant déjà la bestiole escaladant ce
front dénudé qui lui faisait barrage. Elle se mit sur ses pattes
arrière, examinant cette situation insolite ; son museau frémit, ses
moustaches s'agitèrent... "vas-y, vas-y" pensions nous tout bas.
Hélas,
le professeur se redressa sur sa chaise... Affolée, Souricette repartit
bien vite vers son placard protecteur. Le suspense était terminé et,
catastrophe, le retour sur cette terre fut violent : M. M... annonça :
"Interrogation écrite", sortant ses fameux petits rectangles de papier
qu'il avait l'habitude de préparer pour ce genre de travail.
M.
M... ne sut sans doute jamais le danger ridicule qu'il risqua ce
matin-là et la déception de ses élèves un peu facétieux. C'était en
195... Il y a bien longtemps maintenant.
Micheline DACHEUX
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Violence dans les Écoles
de Micheline
DACHEUX, les Récollets 1951-1954
Vous avez dit violence dans les écoles ?
Chaque
semaine bientôt, la presse, la télévision nous font
part d'une agression perpétrée par un élève
contre un professeur ou contre un camarade au sein d'un
établissement scolaire.
Nous,
anciens élèves des Récollets qui avons connu la
toute puissance du Maître, source de savoir et d'autorité,
sommes surpris et interrogatifs.
Autrefois, les élèves, souvent nombreux, étaient
scolarisés dans des classes parfois exiguës, peu
accueillantes et sans grand confort. Les règles de travail, de
discipline et de respect du maître étaient bien
établies et les familles les approuvaient. L'enfant venait
là pour apprendre, pour obtenir un bon métier
après le brevet. L'entrée dans les Postes, dans les
banques, à la SNCF, dans l'enseignement, était un
rêve que caressaient les parents. Et il est vrai que ces
règles permettaient aux instituteurs et surtout aux
élèves de fournir un travail scolaire sérieux.
Oh ! nous n'étions pas des anges et enfreindre la discipline
était bien tentant avec la complicité de bons copains,
mais c'était aussi prendre le risque d'une réprimande,
d'une sévère punition, d'un séjour plus ou moins
prolongé sous la marquise.
La sanction n'était pas acceptée, bien sûr de
gaieté de cœur, mais on s'en voulait plus de s'être
fait bêtement pincer (on se promettait de mieux s'y prendre la
prochaine fois). En revanche, les punitions injustes soulevaient la
révolte, on en voulait au maître qui l'avait
infligée, on en parlait aux copains qu'on prenait à
témoins, on projetait de terribles représailles et bien
souvent cela s'arrêtait là. Oh ! il y avait bien de temps
à autre des punaises qui dressaient triomphalement leur pointe
sur une docte chaise, des taches d'encre bien étoilées
qui fleurissaient fort joliment la blouse ou le veston des
maîtres incriminés, mais des injures verbales, des
violences physiques envers eux n'étaient pas imaginables.
La cour de récréation était surveillée par
nos instituteurs toujours réunis sous la marquise (qui a
oublié cette vénérable marquise ?). Les
garçons organisaient des jeux : le béret, les barres,
l'épervier, le loup et le billes. Des bagarres ? Bien sûr.
Il y avait des différents qui ressortaient de ces distractions
mais les coups étaient rares et risqués. Les antagonistes
avaient toutes les chances de terminer leur récré
appuyés contre une colonne de la marquise avec une copie de cent
lignes ou un coup de pied dans la partie la plus charnue de leur
individu !
D'autre part, bien des élèves, le matin, rejoignaient les
Récollets après une bonne marche ou une longue course
à bicyclette. Certains avaient même apporté avant
leur départ, une aide physique à leurs parents pour des
travaux à la maison ou à la ferme, et ces diverses
fatigues calmaient l'envie de se dépenser en violence à
l'école.
Absente de nos mœurs, la télévision n'apportait pas
des modèles de rixes ou de bagarres, la cigarette se fumait
rarement dans les toilettes, la drogue était un mot inconnu et
la perpective du chômage était bien restreinte. En fait,
si notre jeunesse n'a pas connu les soi-disant exaltations de la
jeunesse d'aujourd'hui, c'est parce qu'elle était bien
protégée : elle aspirait à un avenir prometteur,
elle n'était pas blasée, tous les rêves avaient
cours.
Nos enseignants n'étaient pas tous particulièrement
tendres ni compréhensifs, mais au fond, on les aimait bien, on
les aime même encore, ils sont toujours parmi nous.
Ah ! que les maîtres et les élèves étaient heureux autrefois... mais ils ne le savaient pas !
Micheline DACHEUX
("Le Mot de la Secrétaire" - Bulletin n°17 - avril 2001)
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L'ordinateur et l'Association
de Micheline
DACHEUX, les Récollets 1951-1954
L'ordinateur et l'Association
..........Bravo
! Nos jeunes camarades savent utiliser à bon escient ce
matériel moderne et magique qu'est l'ordinateur et le service
Internet. Rien ne les arrête, ils tapotent et tapotent encore
sur le clavier et retrouvent, à des kilomètres de
là des copains et des copines avec lesquels, comme on dit, ils
ont usé leur fond de culotte sur les mêmes bancs de
l'école des Récollets, et qu'ils avaient parfois perdus
de vue depuis des lustres.
..........Ils
échangent des photos, des identités, des messages,
heureux de se retrouver, prêts à adhérer à
l'association ! C'est formidable, en un tour de main, ils doublent
bientôt le nombre des adhérents !
..........Quand
nous autres, les plus anciens avions la chance de repérer, au
gré des hasards, un de ces rares spécimens ayant
fréquenté les Récollets, et à qui
nous proposions, de vive voix de se retrouver dans l'association, nous
avions bien souvent des réponses évasives du genre "oh !
tu sais, je n'ai pas l'esprit ancien combattant..." ou, "rien ne
presse, je te rappellerai" ou encore "d'accord, mais on verra plus
tard" et en fait on ne voyait rien... Et nous, nous nous
inquiétions sérieusement pour la pérennité
de notre amicale.
..........Alors,
merci de permettre à l'Association des Anciens Elèves des
Récollets de vivre plus longtemps et merci à ceux qui
viennent rejoindre les "Vieux".
Mais au fond, quand nous sommes ensemble nous redevenons des adolescents, au moins pour la journée...
Micheline DACHEUX
Les Récollets 1951-54
("Le Mot de la Secrétaire" (extrait) - Bulletin n°24 - mars 2008)
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La Fête des Récollets
de Micheline
DACHEUX, les Récollets 1951-1954
La Fête des Récollets
........Année
2006, en ce début d'avril, avec le retour des Rameaux, nous
revient la fête des Récollets. Souvenez-vous copains des
Récollets cette invasion de forains dans la rue Hoche, qui
installaient leurs stands sur les trottoirs et jusqu'au pied de
l'église de Nantilly ! Nous qui venions du sud, c'est à dire de
Bagneux et de Saint-Florent, nous profitions pleinement des
préparatifs de cette kermesse. Le soir nous nous attardions pour
observer l'évolution du montage des manèges et, le
dimanche, nous allions "y faire un tour". On n'avait guère
d'argent à dépenser, mais c'était la fête et
nous en profitions par les yeux, les oreilles et le nez ! Souvenez-vous
du parfum des berlingots colorés que les confiseurs
étiraient à bout de bras avant de les découper sur
le marbre, de l'odeur des cacahuètes grillées qu'un
vendeur proposait, encore toutes chaudes, dans un vaste panier d'osier,
du parfum de ces miraculeuses barbes-à- qui n'en finissaient
plus de prendre du volume dans leur machine et qui, soudain,
s'échappaient sous nos doigts gourmands !
........Le
bruit des différentes musiques et des divers vrombissements
était assourdissant et nous devions crier pour nous entendre, ce
que nous faisions avec plaisir.
........Il
y avait ces mystérieuses baraques dans lesquelles on coupait une
femme en deux et des diseuses de bonne aventure qui, dans leurs robes
chamarrées, nous interpellaient par leurs boniments
alléchants mais on s'en méfiait, sait-on jamais !
........Les
loteries nous faisaient miroiter de magnifiques lots qui, en fait, ne
quittaient jamais leur tablette d'exposition. Nous sursautions au bruit
sec des carabines que des adultes manœuvraient pour exercer leur
adresse sur des pipes en faïence disposées en
éventail. Les autos tamponneuses avaient notre
préférence ; elles nous procuraient de bons fous rires
avec la maladresse de certains conducteurs et puis, nous pouvions les
conduire, le rêve !
Nous frissonnions au bruit infernal produit par ces motos qui
tournaient en montant le long de la paroi d'un énorme cylindre ;
cette attraction était presque toujours installée devant
l'église de Nantilly. Et j'en oublie ...
........C'était ça la fête des
Récollets, pour nous écoliers, et elle nous
annonçait également les vacances de Pâques qui
débutaient la veille des Rameaux, il y a quelques
décennies ...
Micheline DACHEUX
Les Récollets 1951-54
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Marcel APPEAU
de Pierre GOUBERT, les Récollets 1921-1931
Marcel APPEAU
..........Un
juste, un rigoureux, un fidèle, tel m'apparaît celui qui
vient de disparaître. Je l'ai connu aux Récollets à
la fin des années vingt, suivi à l'Ecole Normale d'Angers
et perdu de vue assez longtemps parce que nos routes ont
divergé. Puis, grâce à cette association d'anciens
élèves qu'il animait pour une bonne part depuis une bonne
douzaine d'années, nous nous sommes rencontrés à
nouveau et nous avons noué une amitié croissante,
curieusement imprévisible lors de notre lointaine jeunesse, que
nous n'avons pas vécue de la même façon.
..........J'ai
donc retrouvé sa rare lucidité, son horreur du bavardage
et de tout excès, découvert une carrière que je
soupçonnais à peine et un courage à la fois
silencieux et implacable face aux épreuves qui ne lui
manquèrent pas.
..........À
Saumur comme à Angers, à côté d'une
réussite scolaire aisée on voyait aussi le sportif,
sprinter et footballeur de talent, qui s'entourait
particulièrement de sportifs comme lui. Revenu à Saumur
ou tout auprès, après de rudes années de
captivité, il enseigna avec plaisir, avant d'être
chargé de l'éducation physique dans diverse écoles
de la ville, puis s'installa dans l'école (et cours
complémentaire) où nous avions tous deux
été formés, et de quelle admirable manière.
Et puis surtout, il osa, parce qu'il savait qu'il le pouvait, qu'il en
avait intellectuellement besoin et sans doute qu'il en
récolterait quelque jour les fruits, entamer, la trentaine bien
sonnée, des études supérieures à
l'université la plus proche, Poitiers. Elle accueillit avec
surprise et sympathie cet étudiant d'âge inhabituel, de
culture et de finesse rares. Licencié ès-lettres, avec un
goût ancien et prometteur pour l'histoire, il obtint la direction
du Cours Complémentaire de notre jeunesse qui lui était
aussi cher qu'à moi. Ce que fut son action comme Directeur de
cet établissement, transformé en Collège et
descendu du Jardin des Plantes au Chemin Vert, je le sais mal et c'est
à d'autres de le dire. Mais je suis sûr qu'il sut
hautement administrer, régler, arbitrer, encourager et au besoin
gourmander : il était aussi fait pour ce difficile métier.
..........Retraité
dans une maison entourée de roses et de glycine, qu'il avait
fait ériger pour de longues et riches années, il
s'entoura de centaines de livres, sélectionna des voyages et de
fort beaux sites auprès de ceux qui lui étaient chers et
notamment avec un cousin romain qui lui fit connaître la Ville
dite Éternelle pour laquelle il éprouvait la même
passion que moi. Il devint aussi notre initiateur en Champigny,
Bonnezaux et Quarts-de-Chaumes. Il nous accueillait trois fois l'an
environ, portes ouvertes, jardin fleuri, sourire aux lèvres et
œil spirituellement brillant. Je compris vite que,
passionné d'histoire, il était passé des livres
à la lecture des archives, seule démarche qui vaille. Il
avait beaucoup travaillé sur Saumur, notamment avant, pendant et
après la Révolution, puis au siècle suivant et aux
origines de notre vieille école, mais aussi sur l'ancienne
province d'Anjou. Il conviendrait de réunir tout ce qu'il a
publié dans le bulletin de notre Association d'anciens
élèves et ce qu'il conservait en manuscrit. Et tout cela
fut une riche retraite.
..........J'ai
toujours pensé que les disparus qui nous furent et restent chers
ne meurent jamais. Ils continuent à vivre dans le souvenir.
C'est pourquoi je verrai toujours, et entendrai aussi, le sourire
discret, l'œil brillant et la parole chaleureuse et
dominée de Marcel APPEAU.
Pierre GOUBERT
Les Récollets 1921-31
(Article paru dans le bulletin n°13 - mai 1996)
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Merci Monsieur POURRIN
Merci Monsieur POURRIN
.....
......Ce
mot est plein de nostalgie, nostalgie de mes quinze ans, des camarades
et professeurs disparus bref nostalgie de ma jeunesse...
.....J'écris
sans doute des souvenirs de faits qui pourront paraître
erronés mais à treize ans on perçoit, on juge les
événements différemment qu'à l'âge
adulte. J'avoue que plus tard, je n'ai pas cherché à
savoir s'il y avait eu des instructions de l'éducation
nationale, je me suis contentée de croire que, grâce
à Monsieur POURRIN j'avais eu la chance de suivre des
études et j'en suis restée très reconnaissante aux
Récollets.
.....Aujourd'hui
je veux seulement rendre hommage à cet homme au nom de toutes
les jeunes filles auxquelles il a permis d'accéder aux
études secondaires.
.....Si
un cours complémentaire existait depuis longtemps à
Saumur pour les garçons, accueillis même après le
certificat d'études primaires, rien de semblable n'était
possible aux filles. Les fillettes qui n'étaient pas
entrées en sixième à onze ans, au collège,
passaient le certificat d'études à l'école
primaire et entraient en apprentissage.
.....Vers
les années 1950, peut-être avant, je ne sais, Monsieur
POURRIN, alors directeur des Récollets, contactait les
directrices des écoles de filles pour leur proposer
d'orienter certaines de leurs élèves vers son cours
complémentaire dès treize ans. Scandale ! Des filles dans
une école de garçons ! C'était une
première. Mais il y avait des conditions : officiellement nous
ne pouvions pas être inscrites en section générale;
nous devions suivre la section commerciale seule autorisée pour
les écolières de ce cours complémentaire. Nous
devions être des élèves "pas trop mauvaises". A ce
sujet, la directrice de Bagneux Mademoiselle NICOLAS, nous faisait
maintes recommandations : nous devions "honorer" son école et,
jusqu'à la classe de troisième, docilement, nous lui
portions notre carnet de notes et recevions ses remarques. Heureuse
époque pour les maîtres ! D'autre part, nous étions
averties du travail à fournir pour obtenir le B.EP.C. : nous
passions directement en cinquième et, à l'enseignement
général que l'on suivait officieusement, il fallait
ajouter les cours de comptabilité, de commerce,
d'arithmétique commerciale, de sténo-dactylo. Par contre,
nous n'assistions pas aux cours d'histoire et de sciences naturelles en
cinquième et quatrième.
.....Monsieur
POURRIN gérait, avec brio, ce panache d'études avec son
équipe complice d'instituteurs-professeurs. L'étude de
soir, de 17 à 19 h leur servait très souvent à
nous donner un cours supplémentaire. Et, au troisième
trimestre Monsieur LÉTOILE, alors chargé de la classe de
fin d'études, s'évertuait, certains soirs, à nous
transmettre le programme du "certif." pour que nous passions
également cet examen.
.....Merci
à vous Monsieur POURRIN, pour vos initiatives, et à tous
ces maîtres qui s'associaient à vos projets. Je n'ai pas
su le leur dire de leur vivant et je le regrette. Notre camarade
Gérard PEAN trop tôt disparu -vers 30 ans- avait
malicieusement enjolivé leur nom : M. BOUDAULT... coin, M.
POURRIN... ou deux, M. MERCIER... bonjour, M. GOBIN... oeuf, M. PRUNET...
poire, M. GANAULT (je ne sais plus)
L'ancienne élève Micheline DACHEUX
Les Récollets 1951-54
("Le Mot de la Secrétaire" - Article paru dans le bulletin n°20 - Avril 2004)
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Marcel POURRIN
Marcel POURRIN
........Chaque
année, notre association déplore la disparition de
quelques-uns de ses membres. Parmi ceux qui nous ont quités en
2003, figure une personnalité saumuroise connue de tous : Marcel
POURRIN, ancien directeur de notre école des Récollets.
........Lorsque
j'ai été nommée au collège en 1963, il
goûtait depuis trois ans les joies d'une retraite active et
heureuse. Je ne parlerai donc pas du professeur, du directeur, laissant
à ceux qui ont eu le bonheur de le connaître dans ces
rôles le soin 'évoquer les anecdotes qu'ils ont
vécues sous son règne souriant.
........L'été
avec maman, nous allions les voir, Léone et lui, à
Saint-Philbert, dans la petite maison fleurie, garnie de meubles
souvent faits de ses mains. Nous en repartions avec des fleurs et des
légumes qu'avec une volonté de fer, luttant contre la
paralysie, aidé de dispositifs qu'il avait inventés et
confectionnés, il s'acharnait à cultiver.
........Depuis
qu'il était seul, il attendait la fin inéluctable avec la
philosophie d'un sage. Au lieu de s'étendre sur les multiples
handicaps qui rétrécissaient sa vie, il
préférait égrener les souvenirs heureux d'un
passé lointain.
........Il
nous raconta ce premier voyage à Avignon, après la Grande
Guerre, en 1920 (il avait 15 ans). Son père, gendarme dans les
Deux-Sèvres, venait d'acheter une automobile. Ils n'avaient
rencontré qu'une seule voiture jusqu'à Avignon, une
voiture qui les avait croisés. Pas une seule ne les avait
doublés ! Alors, naturellement, les deux automobilistes
s'étaient arrêtés pour se saluer et comparer les
mérites des deux marques.
........Il
se met rapidement au volant. Pendant les vacances scolaires, il fait un
peu le taxi. Quand un voisin a besoin de se rendre à Parthenay
pour le marché ou à un rendez-vous chez l'oculiste, le
père propose immanquablement : "Marcel va vous conduire !".
Encouragé par la double bénédiction de son
géniteur et de la maréchaussée, Marcel ne se fait
pas prier ! Il n'a pas le permis de conduire, mais qu'importe ! La
vitesse de l'auto et la rareté des véhicules sur la route
rendent les accidents très improbables... Reconnaissant, le
passager paie la course d'un lapin ou d'une petite pièce pour
l'argent de poche du chauffeur.
.
.......Avec quatre de ses
camarades, il envisage le concours d'entrée à
l'école normale de Parthenay (celle des filles est à
Niort) mais ils restent dans la classe du certificat d'études
où l'instituteur n'a guère le temps de les
préparer sérieusement. Il est collé. En septembre,
une cession de rattrapage a lieu à Angers. il s'y prépare
et, cette fois, il est reçu.
........Pendant
ces années d'études, il se fait remarquer pour
l'intérêt qu'il porte aux sciences : participation aux
expériences, bonnes notes aux devoirs... aussi, à la
sortie de l' E.N. (Ecole Normale), on lui propose un poste à
Daumeray, dans le Baugeois, puis au Cours Complémentaire de
Segré pour enseigner cette discipline.
........Au
bout de trois ou quatre années d'enseignement, il entend parler
d'un stage à l'Ecole Nationale d'Agriculture de Rennes. Le
recrutement est de 1 élève par département. Il
pose sa candidature qui est acceptée. Il se retrouve là
avec une dizaine d'autres instituteurs venant en majorité de
l'Ouest. Pendant ce stage, ils suivent des cours à la
faculté de Rennes où leurs connaissances surprennent les
professeurs habitués à des élèves (fils de
gros propriétaires terriens) plus portés sur les
distractions que sur le travail. A la fin du stage, il est reçu
à l'examen qui lui donne le droit d'enseigner l'agriculture dans
une E.P.S. (Ecole Primaire Supérieure)
........Il
est nommé à l'E.P.S. d'Angers, dans une classe de
cinquième où, grosse déception, il doit enseigner
toutes les disciplines... Ce travail ne lui plaît pas.
Après un trimestre, il obtient un poste de sciences aux
Récollets, à Saumur.
........Ayant
pris avec la voiture paternelle le goût pour les automobiles, il
achète bientôt une décapotable. Sa prestance, son
charisme et la belle automobile en font instantanément une
célébrité du chef lieu d'arrondissement !
........En
août 1939, il est mobilisé, affecté au
ravitaillement à Mulhouse. Il connaît bien la ville
où, 15 ans plus tôt, il a effectué son service
militaire. Les premières lignes sont à deux pas de
là, au bord du Rhin, face à l'ennemi.
........Avec
la débrouillardise dont il ne faut jamais se départir en
période difficile, il trouve le moyen d'alimenter sa compagnie.
Dans cette Alsace désertée par les habitants, les soldats
font les récoltes : betteraves, blé, pommes de terre...
posent des collets qui fournissent lapins et lièvres pour
alimenter l'ordinaire.
........L'armistice le ramène à Saumur.
Il échange quelques relations amicales
avec un soldat allemand antinazi qui parle bien le français. Un
jour, ce dernier lui demande de lui prêter sa bicyclette pour
qu'il puisse rejoindre une amie française.
Trop heureux de faciliter une idylle, M. Pourrin obtempère. Las
! C'est justement cette nuit-là que la compagnie allemande
reçoit l'ordre de quitter les lieux à destination de la
Russie ! Au moment du départ, l'amoureux manque à
l'appel... Lorsqu'il rapporte le vélo, M. Pourrin le cache dans
sa cave puis décide d'aller demander au capitaine de gendarmerie
comment tirer le pauvre troufion ennemi de ce mauvais pas. Il se
prépare à pénétrer dans la cour de la
gendarmerie quand un sixième sens (qui lui a déjà
porté secours plusieurs fois) lui dicte de différer
quelque peu sa démarche. Bien lui en prend. Discrètement
tapi à l'écart, il voit sortir le capitaine de
gendarmerie encadré par deux Allemands. Il vient d'être
arrêté, probablement victime d'une dénonciation.
Lors de communications téléphoniques avec ses collègues, ce résistant usait d'un mot de passe "Kenavo"
qui, détourné de son sens classique ne signifiait plus
"Au revoir" mais : "N'exécute pas les ordres que je suis
obligé de te donner"...
S'il s'était trouvé dans le bureau du capitaine de
gendarmerie, il est probable que M. Pourrin aurait été
arrêté lui aussi.
........En
1945, il succède à Mr. Boutreux et restera directeur des
Récollets jusqu'à son départ à la retraite
en 1960.
........Pendant
sa carrière, il a quelques démêlés avec un
inspecteur primaire qui n'apprécie pas du tout la
liberté, la désinvolture de son subordonné et
surtout son peu d'empressement servile à son égard.
Un jour, jugeant la coupe pleine, l'inspecteur réclame une inspection contre cet enseignant indocile.
Sans crier gare (à l'époque, les inspecteurs vous
tombaient sur le poil sans prévenir !) l'inspecteur
d'académie et l'inspecteur général
débarquent aux Récollets. M. Pourrin fait une
leçon sur la lumière mais, avant les expériences
d'optique, il énumère les multiples applications de la
lumière dans de nombreux domaines. Les inspecteurs qui, au
passage, apprennent beaucoup de choses, sont enchantés du
professeur, ce qu'ils confirment par une belle note de 19, au grand
dépit de celui qui avait tant espéré le coincer,
le faire prendre en défaut !
........Un autre coup d'éclat a lieu lorsque M. Pourrin, considérant que les élèves de 3ème
avaient bien travaillé, les autorise à rester chez eux
une semaine avant le brevet pour parfaire leurs révisions.
Courroux de l'inspecteur primaire qui revient aux Récollets
flanqué de ses deux supérieurs hiérarchiques
susnommés ! Aucune sanction n'est prise contre l'enseignant.
N'ayant pas réussi à mater le rebelle ni à le
faire muter, écœuré, c'est lui qui quitte la
circonscription l'année suivante.
........Malgré sa charge de directeur, M. Pourrin doit assurer 6 heures d'enseignement.
Un matin, alors qu'il est plongé dans une
correspondance administrative, il voit arriver dans son bureau un prof.
assez embarrassé : "Je ne voudrais pas jouer les mouchards mais
il y a un collègue qui en prend un peu trop à son aise,
à côté de ma classe ! Je ne peux pas travailler
tellement il y a de chahut !". M. Pourrin le regarde avec
ébahissement et, tout à coup, bondit de sa chaise. "Mais
c'est ma classe ! J'ai complètement oublié que j'avais
cours !"
........Dans
l'un des bulletins de notre association, Micheline DACHEUX, notre
secrétaire, raconte la perplexité dans laquelle la
plongeait la vue de la caravane, aplatie, construite par M. Pourrin. Ne
sachant pas que cette curieuse maison ambulante avait la faculté
de se déployer pour doubler de hauteur, elle se demandait avec
inquiétude comment pouvaient vivre les occupants - à
quatre pattes assurément ! - dans un habitacle aussi bas de
plafond...
........Elle ignorait aussi le goût de ladite caravane pour la liberté !
Un jour d'été, circulant à vitesse réduite dans les pittoresques gorges du Verdon, M..Pourrin
laissa échapper un juron. Il venait d'être doublé
par un mobile home portant une marque de fabrique qui lui rappelait
quelque chose !
Il y eut plus de peur que de mal ! Hésitant entre le ravin,
à droite, et la montagne, à gauche, sa chère
caravane prit la sage résolution d'aller embrasser le rocher !
........Forcément,
quand on a une longue vie, que l'on garde jusqu'au bout toutes ses
facultés mentales et le goût de l'anecdote, on a beaucoup
de choses à raconter, des catastrophes et des moment de bonheur,
comme tout un chacun...
........Faisant
le bilan de ses 98 années d'existence, il considérait que
la vie l'avait gâté. Cette heureuse disposition de
caractère l'aidait à supporter la solitude, la paralysie
de ses jambes, l'infirmité de ses mains... Il offrait au
visiteur un visage serein éclairé par l'intelligence du
regard.
Le dévouement de Monique, devenue depuis
longtemps la fille de la maison et l'aide de son mari lui avaient
permis de rester chez lui, au milieu de ses souvenirs, mais un jour,
son état de faiblesse rendit son hospitalisation
inévitable.
Il survécut quelques temps, se fâchant quand on allait le
voir à l'hôpital parce que, à son avis, il faisait
bien trop chaud, en ce début de juin 2003 pour "rendre visite
à un moribond".
Ceux qui l'on connu, estimé, ne seront pas surpris de cette
réaction, symbole, jusqu'aux derniers instants, de sa bonhomie,
sa lucidité et sa dignité.
Paule TROUBAT
Prof. aux Récollets 1963-1967
(Article paru dans le bulletin n°20 - Avril 2004)
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Nostalgie
de Paule TROUBAT, professeur de Maths et de Sciences Naturelles de 1963 à 1966
Nostalgie
I
----------J'ai
lu, dans le bulletin d’avril 1987, que l’on s’interrogeait sur la date
de naissance du Cours Complémentaire des Récollets.
----------Cette
phrase a réveillé en moi le souvenir nostalgique de sa
disparition…
----------Vingt
ans, déjà, que nous avons troqué le tuffeau, les tilleuls, la marquise,
la compagnie du Jardin des Plantes et celle, fraternelle (et
dominatrice !) du lycée d’Etat pour le bucolique Chemin Vert et son
architecture au goût du jour.
----------Puisqu’il
fallait bien se résigner à l’exil, nous abandonnâmes notre vieille
école et, bottés jusqu’aux yeux – le nouveau quartier n’étant encore
qu’un immense bourbier d’où, seul, émergeait le CES – nous partîmes
vers notre nouveau destin.
----------C’est
par un matin pluvieux (non, je n’en rajoute pas !) d’octobre 1966 que
s’effectua le transfert. Déménagement à la cloche de bois ! Avec la
pauvreté qui la caractérise, l’Education Nationale n’avait pas les
moyens de nous offrir les services d’une entreprise spécialisée ;
aussi, chaque professeur, aidé par ses élèves, transporta pédestrement
jusqu’au nouvel établissement : archives, documents et autres matériels
pédagogiques.
----------Etant à l’époque chargée
du cours de « sciences nat. », j’accompagnais une trentaine d’enfants
de 5ième auxquels était adjoint un citoyen de grande taille, celui qui
permit (et permet toujours) à des générations d’élèves de dénombrer les
os longs, plats, ronds etc… de notre anatomie. J’ai nommé ARTHUR, le
squelette qui hante toutes les salles de biologie. Imaginez un peu la
stupeur des commerçants et autres usagers de la rue du Pressoir à la
vue de ce cortège funèbre !
----------Aux
Récollets, l’enseignement des sciences était dispensé dans une salle du
rez-de-chaussée dont la seule évocation provoque chez moi un afflux de
souvenirs olfactifs : s’y mêlent des odeurs de naphtaline destinée à
enrayer le processus – déjà bien entamé – de déplumage de quelques
oiseaux naturalisés qui trônaient dans l’armoire vitrée et les
effluves…douteux…des crevettes et autres crustacés, achetés frais à la
poissonnerie de la rue du Pressoir mais rapidement détériorés par
manque d’armoire frigorifique.
----------Un
jour, il me parut absurde de laisser dépérir une marchandise aussi
savoureuse. Et c’est ainsi que Monsieur l’Inspecteur nous surprit
(maintenant sa visite est annoncée plusieurs semaines à l’avance) mes
élèves et moi, dégustant la chair délicate de quelques oursins, la
leçon d’observation terminée…
----------Si, d’aventure, les
exigences de l’emploi du temps faisaient que deux professeurs dussent
exercer simultanément leurs talents, alors l’un d’eux émigrait, avec
élèves et matériel, dans un wagon qu’un aiguillage pour le moins
fantaisiste avait fait échouer sur la Place des Récollets et qui
achevait paisiblement ses jours reconverti en salle de classe.
Malheureusement, l’étroitesse des fenêtres aggravée par l’ombrage
généreux des arbres rendait bien téméraire toute tentative
d’observation au microscope… Par ailleurs, à la fin de l’année
scolaire, au moment de l’inventaire, « les boîtes de poids » outils
indispensables aux leçons sur la balance (celle de Roberval, bien
entendu) accusaient toutes une disparition des 2g et 1g qui n’avaient
pu résister à ces va-et-vient continuels.
----------Aux
mauvais jours, un imposant poêle en fonte nous dispensait, avec bonne
volonté, une chaleur réconfortante. La conscience professionnelle, le
plaisir avec lesquels l’élève, volontaire pour le remplissage du foyer,
s’acquittait de sa tâche, m’ont toujours fait penser qu’il y avait là
une vocation insoupçonnée de chauffeur de locomotive.
----------Un
soir d’hiver, justement, alors que venait de commencer
l’heure
quotidienne d’études, le directeur (M. Appeau en
l’occurrence) vint
nous prévenir, preuve à l’appui, qu’un
verglas subit et ô combien dangereux recouvrait le sol et
qu’il fallait, en toute hâte, regagner nos foyers. Preuve
à l’appui, disais-je, car un pansement sur son nez
témoignait qu’il avait déjà fait les frais
de cette belle patinoire !
----------On
le sait, le malheur tend à niveler les couches sociales,
à escamoter la hiérarchie. La dignité, fut-ce
celle d’un professeur, on s’assoit
dessus…C’est bien le cas de le dire car, tous âges,
tous grades confondus, nous descendîmes la rue
Sévigné sur les fesses, notre seule préoccupation
étant d’éviter les bris de membres…A
l’exception toutefois du prof de Gym, Claude Valès,
qui dévala la rue pentue à bicyclette malgré
les vaines exhortations de Serge Ganault : « Claude, tu
as charge de famille, je t’en prie, sois
prudent… »
----------Autre
saison, autre décor : en été, tandis que les
enfants s’égaillaient dans la cour, les professeurs
recherchaient volontiers l’ombre des tilleuls, se racontant les
dernières perles des chers petits, à moins
qu’ils ne dévoilent leurs projets de vacances.
Il n’était pas rare, alors, de voir l’un d’eux
sursauter, faire un écart, scruter le ciel puis regarder avec
consternation son vêtement sur lequel l’un des charmants
locataires de l’arbre parasol venait de laisser tomber…une
épinglette.
----------Bref, on l’aura compris, c’était le bon temps !
----------Certes,
nous disposons, dans notre collège récemment
baptisé « Pierre Mendès France »,
de classes claires, propres, spacieuses, bien équipées,
bien adaptées à l’enseignement
d’aujourd’hui. Aucun effort n’est
épargné pour agrémenter les lieux de pelouses, de
massifs de fleurs renouvelés au fil des saisons. Le rideau de
peupliers, en bordure du Thouet, constitue un arrière-plan
exceptionnel à notre cadre de vie et les prairies avoisinantes
nous accueillent volontiers pour les pique-niques tant
appréciés des élèves les derniers jours de
juin.
----------Cependant,
personne ne m’empêchera de penser que nous avons
laissé une partie de notre âme aux Récollets.
Paule TROUBAT
Prof aux Récollets 1963 – 1966
(Article paru dans le bulletin n°4 de 1998)
|
II
----------Retourner
sur des lieux qui ont été chers, que l’on a
explorés par le menu et dont on a gardé un souvenir
inoubliable, c’est s’exposer à souffrir des
transformations apportées par les ans à un cadre que
l’on aurait voulu immuable.
----------C’est
le pincement au cœur qu’ont dû éprouver les
Anciens des Récollets venus revoir le site de leur enfance, le
22 Avril 2001, à l’occasion de l’Assemblée
Générale de l’Association.
----------Après
la réunion dans le hall de la nouvelle école et avant le
déjeuner, une promenade pèlerinage conduisit les vieux
enfants vers les anciens bâtiments aujourd’hui
désaffectés.
----------La
surprise était de taille ! En son temps, la chute du
mur de Berlin ne les avait pas ébahis autant que le fit la
disparition de celui des Récollets. On avait donc abattu ce
sinistre mur de prison qui limitait la cour de récréation
et, masquant les attraits du Jardin des Plantes, décourageait
les désirs d’évasion des galopins.
----------Le
mur enlevé, exit l’esthétique enfilade de cabinets
à la Turque qui lui était adossée et dont les
exhalaisons de créosote parfumaient l’air, par
les chaudes journées d’été…
----------Un
coup d’œil au travers des baies vitrées provoqua la
consternation : on avait osé jeter au rebut les vieux
pupitres entaillés de coups de canif, lustrés par les
manches des blouses grises, pupitres sur lesquels des
générations d’écoliers avaient posé
leur ardoise et leur plumier en bois, les plus riches arborant avec
fierté un plumier articulé à deux étages.
----------Plus
de tableau noir accroché au mur ni de menaçante carte
muette sur laquelle des doigts hésitants devaient montrer Nancy,
Perpignan, Bourges ou Quimper, suivre le cours du Rhône ou
énumérer les affluents de la Seine…
----------Aux
oubliettes les planches Armand Colin grâce auxquelles la
germination d’une graine de haricot ou la circulation du sang
dans l’organisme humain ne présentaient plus de
mystère.
----------D’anonymes
radiateurs remplaçaient le bon gros poêle en fonte qui,
pourtant, n’avait jamais démérité,
même au cœur des hivers les plus rigoureux.
----------Depuis
des décennies, il fallait courir les brocantes pour
dénicher ces petits encriers en porcelaine blanche remplis au
compte-gouttes d’une encre violette dont l’odeur est
définitivement imprégnée dans la mémoire
olfactive. Ah ! S’appliquer, en tirant la langue, à
reproduire avec pleins et déliés, à la plume
Sergent Major, la belle majuscule dessinée en rouge par
l’instituteur ; doser la prise d’encre : trop et
c’est le gros pâté infâmant ; trop peu,
le trou dans le papier provoqué par la plume
sèche…Les enfants d’aujourd’hui qui manient
le stylo-bille en dépit du bon sens ne peuvent imaginer le
pensum que représentait autrefois chaque page
d’écriture.
----------Et
que dire des règles de trois ; des robinets ;
des trois rangées de fil de fer maintenues par des piquets
autour des champs ; des trains qui se croisent quand ils ne se
poursuivent pas…bref, de tous ces problèmes
inventés par des pédagogues sadiques exprès pour
donner des cauchemars et des insomnies.
----------Enfin
venait le jour où, ayant vaincu les pièges de la
grammaire et de l’arithmétique, l’instituteur vous
jugeait apte à passer les épreuves du sacro-saint
Certificat d’Etudes Primaires, le viatique qui assurait un
métier prometteur d’avenir.
----------Pendant
quelques jours, aux yeux de sa famille et du voisinage, le
« certifié » tirait gloire de sa
réussite et, dans le meilleur des cas, recevait en
récompense la belle montre ou le vélo tant
convoités.
----------Ces
souvenirs attendrissants affluent à la mémoire des
Anciens regroupés sous la marquise qui, comme eux, porte les
stigmates de l’âge…
----------Ils
repartent lentement vers la nouvelle école construite en partie
sur le jardin où Monsieur Pourrin initiait parfois les plus
grands à la greffe des sauvageons.
----------Elle
est accueillante, la nouvelle école et ses locaux, sa
décoration laissent deviner qu’on n’y pratique plus
la pédagogie solennelle d’autrefois.
----------Les
instituteurs d’aujourd’hui, si facilement
vilipendés, sont priés par la hiérarchie
d’innover, d’éveiller la curiosité, de varier
les méthodes, de se remettre sans cesse en question, de
participer à un projet collectif, de rendre leur
pédagogie ludique, d’ouvrir l’école au monde
extérieur…etc…etc…etc…car il
n’est plus de mise, bras croisés sur le pupitre,
d’écouter sans broncher la parole forcément
infaillible du maître vénéré.
----------Le
journal scolaire publié par l’école des
Récollets, composé par les élèves et les
enseignants, illustré par les enfants, témoigne de la
diversité de cette pédagogie active : visite
des CE1 à la magnanerie du Coudray-Macouard ;
préparation de la classe de montagne dans le Cantal ;
premières leçons d’anglais, d’allemand et
d’espagnol ; découverte de la bibliothèque
municipale ; activités sportives, littéraires et
musicales ; point de vue des écoliers sur la cantine ;
labo photos ; salle de documentation.
----------Tout
a changé, mais gageons que les nouvelles
générations, elles aussi, garderont un souvenir
ému de leurs années heureuses à :
L’ECOLE DES RECOLLETS
Paule TROUBAT
Prof aux Récollets de 1963 à 1966.
(Article
paru dans le bulletin n°18 de 2002, suite à la tenue de l'A.G 2001 dans
la nouvelle école primaire des Récollets)
|

Sur le chemin de l'école
SUR LE CHEMIN DE L’ECOLE
-: - : - : - : - : - : -
-------Un temps plus ou moins important est nécessaire pour parcourir
la distance séparant un collège du domicile. Il a
été réduit avec la création des nombreux
collèges. Mais, auparavant, le Cours complémentaire
était le seul établissement de ce type à la
ronde, et le choix étant effectué, il fallait bien
s’y rendre.
Saumuroise, ma famille logeait Rue Nouvelle, à la Croix Verte.
Le chemin des Récollets était long. Il empruntait les
Ponts et la ville commerçante et vivante, illuminée les
soirs d’automne et d’hiver.
La maison Brunet venait de créer un service de transport
scolaire avec sa « navette ». Mais des gars de mon quartier
n’entendaient pas l’utiliser souvent, pour deux raisons :
On voulait économiser un ticket (de notre propre volonté, pas de celle de nos parents).
On était bien mieux entre nous, plutôt qu’au milieu
des filles toutes de bleu-marine vêtues qui descendaient à
la Poste, pour l’Institution Saint André.
Donc, compte tenu de l’éloignement, des chemins
détournés parcourus sans hâte, des haltes pour
évènements divers, de deux aller et retour journaliers
(quand on n’était pas demi-pensionnaire au lycée),
cela représentait chaque semaine quelques heures, et, en
fin de scolarité, des jours et des jours !
Mais en réalité, rien de perdu. Quelle école ! Que
d’événements vécus par tous les temps ! Que
d’observations ! Que d’anecdotes !
Mon Saumur de l’époque, celui que je connaissais
parfaitement et que j’aimais (en plus du Petit Puy, Beaulieu et
Saint Vincent), commençait Route de Rouen et finissait Place
Maupassant. De là, un périmètre remontait
jusqu’au Clos Coutard, Château, redescendait la côte
et la Grand’ Rue, rue de la Tonnelle et aboutissait au quai, face
au Théâtre. J’ai toujours fait remarquer que sur la
façade de celui-ci était gravé le nom de
BOIELDIEU, dont certaines œuvres, très agréables,
mériteraient amplement d’être reprises de nos jours,
en plus du concerto pour harpe et orchestre !
Dans cet espace, on se sentait chez nous ; pas de voie piétonne
encore, mais il suffisait que le groupe marche au milieu de la
chaussée pour que les voitures gueulant du klaxon, ralentissent
leur vitesse : opération réussie !
Mes compagnons de trajet seront surtout J.C. Massué, un voisin,
et aussi Réthoré. Et le soir, après
l’étude surveillée, à dix-neuf heures,
Carassou un peu et Boutin quand on allait jusqu’à la Rue
de la Tonnelle.
Je vais tracer à la queue leu leu quelques souvenirs de ces
« cheminades » heureuses accompagnées de
réflexions. Certaines ont constitué le corps, à
l’époque, de rédactions, avec plus ou moins de
réussite car orthographe et grammaire comptaient lourd dans la
note. Je confesse que j’en ai pudiquement tus (bien qu’il y
ait prescription). Enfin je précise que le groupe pensait
prioritairement à son travail scolaire. Il a produit un
normalien supérieur, un technicien de l’aviation, trois
certifiés ou agrégés de l’enseignement.
LES SORTIES DES RÉCOLLETS
Visions, bruits et odeurs
(à jamais inscrits dans ma tête)
Pas de problème de sécurité ; cela nous échappe : on est les rois du macadam.
Un soir, M. Pourrin, costume-cravate et le feutre à la main,
court en appelant après la voiture de sa femme qui a
oublié de mettre de l’essence dans le réservoir !
Une classe préfabriquée toute neuve est installée
sur la Place. On la veut pour nous, mais hélas… On est
jaloux.
Des règlements de comptes ; c’est rare. J’en suis
victime une fois, après la chorale. L’auteur, un grand,
est exclu trois jours.
« Ecartons-nous ! ». Le bruit poussif du Solex de «
Bidou » Murzeau retentit. Il a de la chance, Bidou, d’avoir
un vélomoteur !
Un matin, une belle D.S. claire stationne face au portail du C.C.
« Le dirlo a changé de voiture ! » Elle est belle
à faire rêver. « Ça gagne bien un dirlo !
»
Un jour, vers 13 h 30, sur la Place, nous croisons une petite couleuvre
effrayée. Peu de monde encore à la ronde. Notre
intérêt est aussitôt alerté par le reptile
et, bien sûr – comment réagissait-on à
l’époque ? – on le tue ! Je m’en charge,
d’un coup de talon sur la tête. Fin de l’histoire ?
Non, car il reste du temps avant 14 heures. On introduit, croit-on
discrètement, le trophée dans le C.C. et dans un coin on
le dépouille prestement. Je place alors la peau à cheval
sur le rebord de la poche de poitrine de ma blouse grise. Dès
cet instant, j’acquière le puissant pouvoir de faire peur
aux filles de la classe, toutes informées, et j’en joue
sadiquement, entraînant surtout les cris et pleurs d’une
gentille camarade d’origine corse (dont j’ai oublié
le nom). Peut-être porte-t-elle aujourd’hui très
élégamment, car elle était très jolie, des
chaussures de peau de serpent ! Nous ne voyons pas que M. Appeau, sans
doute étonné de voir un groupe arriver si tôt,
observe de loin les travaux anatomiques et son intervention,
suffisamment rapide, en plus d’une punition, nous remet les pieds
sur terre et calme instantanément l’excitation de la
classe.
Après l’étude, M. Appeau descend à pied en
ville avec nous. Il est très souvent en conversation avec les
grands : Francis Jang ; Gérard Boeldieu…Un jour,
après maintes tentatives, j’accroche une question :
«L’Olympique (dont il est dirigeant) peut-il gagner
dimanche ? » «On ne pose pas forcément une
question intellectuelle du premier coup, la preuve ! »
Rue du Portail Louis, halte favorite : la vitrine de la librairie
Mimault. Un livre est resté longtemps exposé : « Le
mystère de la chambre jaune », avec Rouletabille. On
l’achètera plus tard. Un jour, une pancarte : «
Monsieur Chaudeurge (proviseur du lycée à
l’époque) dédicacera son livre : Au cri de la
chouette ». On se regarde. « Mais les écrivains sont
des gens morts ! » On pense, puisque celui-ci est vivant, que son
livre ne doit pas être fameux.
Le carrefour du Crédit de l’Ouest : On observe
l’installation des premiers feux tricolores. « Enfin,
Saumur est une grande ville ! »
« Attention ! Voilà M. Mercier. On a intérêt
à lui dire bonjour ! La semaine dernière il a
collé des élèves, rencontrés un jeudi, qui
ne l’avaient pas salué ! »
« Les Nouvelles Galeries » est notre magasin
préféré, surtout aux fêtes : vitrines
animées et colorées, et, quelquefois exposition
d’avions, de modèles réduits réalisés
par des copains dont Rouleau et Champion, des « Aiglons Saumurois
» de Terrefort. Il paraît que le directeur a promis
d’offrir une coupe, en remerciement, pour doter le concours de
durée de vol, en mai, au responsable du club : M. Vincent.
Le théâtre, les grandes affiches. On sait qu’on
n’assistera pas aux spectacles, sauf aux concerts J. M. F.
(où les bavards conférenciers gâchent tout le
plaisir de la musique), et aux pièces classiques
réservées aux scolaires. On n’approuve pas du
tout ceux qui bombardent de boulettes les acteurs. La prochaine fois
que sera joué « Le Cid » (on l’a
déjà vu deux fois !) on emportera le petit classique
Larousse afin de vérifier si nos héros récitent
tout le texte et rien que le texte. La confiance règne !
On assiste, bouche bée, à deux conférences :
l’une de Paul–Emile VICTOR, l’autre de Lionel TERRAY
(qui m’a le plus impressionné en gravissant d’une
enjambée la scène. Quel compas !) Mais malheureusement,
timides encore, on ne pose pas de questions.
Le Pont Cessart, le vent – le large si nous fermons les yeux
– On aime bien stationner sur une pile, face à
l’amont. Il suffit, accoudé au parapet, de réduire
son champ visuel avec ses mains : on surplombe alors la proue
d’un paquebot, quand la Loire est en crue, ou d’un
brise-glace lorsqu’elle charrie des glaçons. Un soir de
Juin, à morte eau, vision cruelle : le corps d’un homme
échoué entre deux bancs de sable, juste en dessous. Le
spectacle de la mort pour la première fois. Nous ne
traînons pas alors pour rentrer et, pendant plusieurs jours nous
discutons comme jamais des saloperies de culs de grève.
Au–dessus de nous, en face, le château. On l’aime et
on a besoin de cette vue magnifique. On l’a contemplé des
heures…tout en jetant des pierres dans le fleuve.
Le Pont des Cadets : un soir d’hiver, une pluie
verglaçante s’abat sur la ville. Les rues sont
transformées en patinoire. Certains automobilistes veulent
rouler coûte que coûte alors que nous glissons à
merveille sur les trottoirs désertés. Et le ballet des
têtus à quatre roues conduit à une véritable
série de collisions heureusement peu sévères.
« Pourvu qu’on n’y rencontre pas la voiture de nos
pères ! » Comme ce n’est pas le cas, le spectacle
finit par nous amuser ; nous comptons les « bing ! »
du moment que c’est l’enfer chez les autres ! On est cruels
et égoïstes.
A la Croix Verte, le Pont du chemin de fer. Au départ
d’une locomotive vers Tours, nous nous précipitons et
l’attendons appuyés à la barrière, à
la verticale de la voie. Il faut sans crier et sans bouger, rester sur
place pendant le passage du monstre crachant en force fumée
noire, vapeur et escarbilles, qui nous enveloppent un instant.
Place Maupassant : on ne passe pas souvent par là mais je me souviens bien de deux faits :
Le film de Vadim « Et Dieu créa la femme », avec la
sublime B.B. joué au cinéma Anjou. L’affiche nous
attire énormément et je passe sur les
réflexions !
Le café d’Orléans : on dit qu’on y vend
de la bière brune. On essaie de voir ce que ça peut bien
être en lorgnant à travers la porte d’entrée
du bar.
La Grand'Rue : La rue de Carassou qui nous quitte très tôt
puisqu’il habite dans le haut. On poursuit avec Boutin
jusqu’à la Place St Pierre. On aime bien la
résonance de la rue mais pas toujours les odeurs !
Place St Pierre : à l’angle de la rue de la Tonnelle, la
maison Partant, notre fournisseur en pétards, poil à
gratter, boules puantes, fluide glacial (je censure l’usage des
trois derniers produits…afin de ne pas être trop
long… !). Les pétards sont utilisés de suite dans
la rue de la Tonnelle forte en écho (pétards rouges
à mèche, à 0, 01 F). Il faut allumer les
mèches et jeter nos projectiles en même temps et quel
effet ! Tous les commerçants apparaissent sur les pas de portes
et le groupe passe comme si de rien n’était. On a
toujours réussi notre coup !
Devant le théâtre : le quai. Le paradis des pêcheurs
; nous passons des heures à les contempler, mais jamais,
pêcheurs nous-mêmes, nous allons nous installer là.
Nous n’aimons pas être observés, nous !
Récollets–Croix Verte (ou retour) en direct, à la
période d’entraînement du cross–country USEP,
deux solutions et quel gain de temps !
........*
A l’aller, confier son
cartable à un camarade
qui emprunte la « navette » de
........ramassage scolaire et essayer d’arriver sur la Place de la gendarmerie (le terminus)
........avant le car (c’est facile quand on est entraîné)
........*Au
retour, déposer son sac sur le porte-bagages
d’un copain cycliste et courir à
côté
........de lui !
........Je termine là mes balivernes. Je suis actuellement à la mi-temps d’une hospitalisation
à Angers, après une opération cardiaque. Les
heures passées à rédiger, corriger, recopier
m’ont semblé très agréables et une bonne
thérapeutique.
........J’ai, étant enfant, toujours eu un faible pour les récits des gosses de la rue.
Claude BOELDIEU
Les Récollets 1956 – 1960
J’ai
ressenti une admiration identique envers Haroun TAZZIEFF en octobre
1987, à Moscou. Nous attendions d’être reçus
ensemble par Mikhaïl GORBATCHEV, dans la salle Sverdlov du
Kremlin. Là, je n’ai pas été timide ! et les
quelques journées que nous avons vécues ensemble
resteront à jamais inoubliables pour moi.
|

Un homme se penche sur son passé
Je me souviens de ma première soirée au dortoir en septembre 1936.
Les nouveaux entouraient Delaporte qui allait entrer à
l’école normale l’année suivante. Le grand
« Popote » nous initiait à ce que serait la vie
scolaire qui allait débuter aux Récollets le lendemain.
Il avait parlé du chahut durant les cours d’un professeur.
C’était la première fois que j’entendais ce
mot et j’avais des difficultés à comprendre sa
signification. Delaporte ne nous poussait pas à perpétuer
cette pratique. Il nous disait simplement que si ce professeur nous
infligeait un avertissement, on pouvait faire appel à sa
mansuétude pour le faire enlever.
Il ne me fallut pas attendre longtemps pour
découvrir la réalité de ces chahuts dans lesquels
les externes prenaient une part des plus actives. En cours
préparatoire il n’y eut pas beaucoup de leçons
perturbées mais en première année, ce fut
différent. La vedette était Hans. Nous nous amusions
beaucoup de ses numéros de duettiste avec l’enseignant.
Prié de sortir de la classe Hans refusa de bouger. Le professeur
tenta de l’expulser de force mais l’agitateur se
cramponnait à son pupitre et les deux gladiateurs se
retrouvèrent allongés sur le sol.
Un peu plus tard l’enseignant, excédé, alla voir le
père de Hans lequel exigea sur le champ des excuses qui
humilièrent beaucoup le coupable. Ce dernier nous raconta
qu’il avait dit : « Je VOUS excuse » pour ne pas
perdre la face.
Puis vint un complot longuement
préparé et mis à exécution durant
l’étude qui suivait les cours avant le dîner. Deux
salles étaient utilisées ce soir-là de janvier,
l’une surveillée par Mr. Pourrin, l’autre par notre
professeur préféré (il était excellent et
je me demande pourquoi nous le chahutions) qui fut agréablement
surpris de recevoir la visite de Ménard – un ancien qui
avait cessé sa scolarité pour aller travailler au magasin
de vélos de son père – venu lui présenter
ses vœux de nouvel an. Quelques minutes plus tard, la
lumière s’éteignit et des timbales, remplies
d’eau, projetèrent leur contenu. Mr Pourrin alla
vérifier les fusibles et les trouva intacts. La panne se
prolongeant, Mr Pourrin retourna vérifier le compteur et
constata que la manette du commutateur (il n’y avait pas de
disjoncteur à l’époque) avait été
abaissée.
Personnellement je n’avais pris part à
aucune action hormis placer dans le poêle des tubes
métalliques de protège crayons bourrés de
fulmi-coton qui produisaient de bruyantes explosions
incompréhensibles (sauf pour nous).
Puis me vint le goût des sabotages. Dans la
salle d’études de l’internat au collège, je
plaçai un jour du papier d’aluminium entre les
baïonnettes des douilles électriques et leurs ampoules.
L’effet fut radical quand le surveillant voulut allumer la
lumière.
En seconde année de cours
complémentaire je fus reconnu par mes condisciples comme un
cerveau des sabotages et chargé de la partie technique du grand
chahut projeté pour le dernier soir au dortoir avant les
vacances d’août 1939.
J’avais demandé aux externes de me trouver des scies pour
ampoules de médicaments qui me permirent de pratiquer une petite
ouverture invisible au ras du culot de chaque ampoule.
Quand la nuit fut venue, que le
pion fut couché dans son enclos fermé par des rideaux, sa
bouteille sous son lit pour la soif nocturne à venir bien
qu’il eût visiblement copieusement bu, les
opérations se déroulèrent ainsi :
Substitution de la bouteille,
Hurlements encourageant le pion à se lever,
Allumage des lampes par le pion,
Fonctionnement des lampes comme des flashes de photographe puis extinction,
Jet de « Bombes algériennes » sur les baguettes recouvrant les fils électriques,
Ordre de sauve qui peut du pion criant « Vite ! Tout va exploser ! »
Appels du pion par la fenêtre aux autres dortoirs car nous
étions enfermés « à clé » et il
n’essaya pas de briser la vitre du panneau de secours pour ouvrir
la porte.
Arrivée du pion d’un autre dortoir qui prit la place de
« Lapin » (en réalité son nom était
Lièvre) et fin du chahut.
Le lendemain fut moins gai. Le surveillant général
Royan qui n’était pas un tendre (pur euphémisme),
nous interdit l’entrée au réfectoire et nous fit
aligner le nez au mur en plein soleil. Nous pensions que nous serions
privés de repas. Il distribua quelques coups de pied (de quel
droit ?) aux plus âgés et quand les internes des autres
dortoirs quittèrent le réfectoire il nous ordonna
d’entrer et nous accorda dix minutes pour déjeuner.
En fin d’après-midi, nous quittâmes l’internat
pour partir en vacances.
Puis, le 3 septembre, survint la déclaration
de guerre mais ceci est une autre histoire et l’année
scolaire 39-40 se termina en juin dans des conditions difficiles.
Les Saumurois savent ce que fut la situation
à partir du 17 juin mais je n’étais pas
présent lors de ces combats. Je n’en vis que les
conséquences : les ponts, les habitations en ruine et même
un obus cassé en deux parties qui avait percé la
toiture du vestiaire des Récollets et était
resté sur le sol.
Je connus de plus près ce genre d’événements
le 23 septembre 1943 à Nantes, jour de la fin du concours
d’admission à l’Ecole nationale de la Marine
marchande qui fut marqué par un bombardement aérien
à 10 heures et un autre à 18 heures. Au cours de ce
dernier, je crus ma dernière heure arrivée car une bombe
atteignit l’entrée de la cave dans laquelle je venais de
me réfugier, rue du calvaire : déflagration,
éblouissement, souffle violent puis le noir. Il me fallut
longtemps pour reprendre mes esprits et trouver une issue quasi
minuscule (qui se révéla seulement quand
l’obscurité se dissipa) pour m’extraire de la cave
dans laquelle je craignais de demeurer prisonnier pendant des jours
…ou éternellement.
Après être sorti à l’air libre,
m’orientant difficilement parmi les ruines, j’allais
récupérer ma valise à l’hôtel
où je logeais depuis le 18 septembre. Les propriétaires
me supplièrent de ne pas entrer : derrière la
façade ne restaient que des planchers et des escaliers montant
dans le vide. Les murs de l’arrière et les cloisons
avaient disparu. Dans la rue, des gens jetaient par les fenêtres
des meubles provenant des maisons en feu, sans doute pour
récupérer le contenu de ce mobilier faute de pouvoir le
vider assez vite.
Je ne revis qu’en août
1944 notre professeur des Récollets, sur une petite route de
campagne. Nous étions l’un et l’autre à
bicyclette et nous eûmes une longue conversation. Je mourais
d’envie de lui exprimer mes regrets de l’avoir un peu
chahuté mais je jugeais que le moment n’était pas
propice. J’aurais aimé lui dire que, par goût des
farces, nous avions abusé de sa bonté. Certes, avec un
autre maître autoritaire nous nous serions tenus cois mais comme
nous aurions été tristes pendant ces longues heures de
cours insipides !
Je termine ce récit par une anecdote que
l’on peut classer dans la catégorie chahut
quoique… Je crois que c’était en 1938, le matin du
départ en vacances de
Pâques. Mr
Bricard, qui était chargé du cours d’histoire,
commença par ces mots ; « Ce matin je n’interrogerai
pas les internes car ils n’ont pas pu travailler beaucoup hier
soir. Y a-t-il des externes volontaires pour être
interrogés ? »
On entendit alors : « Moi Monsieur ».
C’était Rouché. Mr Bricard répondit :
« Bon, je pourrai te donner une bonne note alors ! Tu en as bien
besoin ! »
Rouché vint près du bureau, se balança d’un pied sur l’autre et demeura muet.
Mr Bricard : « Je t’écoute ».
Rouché : « Je ne sais rien, je n’ai rien préparé... »
Abel MAILET
Aux Récollets de 1936 à 1940
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Récollets, années 20
Les
plus jeunes de nos "Anciens" imaginent certainement mal ce
qu'était l'école voici tant d'années. Est-ce
possible, et utile, de réveiller des souvenirs, forcément
déformés, datant de soixante ans et plus ?
En ce temps-là, "on montait" aux
Récollets, venant de Nantilly, de la "ville" par la place de la
Gendarmerie, ou du populaire quartier Saint-Pierre par la "Grand'Rue"
(celle de Balzac et d'Eugènie Grandet, on en était
sûr) par des rues aux pavés inégaux, durs,
disjoints, bordés ou non de trottoirs sablonneux (on en bituma
deux ou trois), dont les plus beaux longeaient le "Collège" (pas
le Lycée), temple de la bourgeoisie masculine (aucun
mélange des sexes, nulle part). Point de trottoir dans l'antique
"Grand'Rue", mais deux caniveaux au débit lent, chargés
de détritus de toute nature, même la pire, en une zone ou
le "tout-à-l'égout" demeura longtemps inconnu.
Cordonniers, bourreliers, menuisiers, serruriers, bouchers et
même épiciers étalaient leurs marchandises ou
travaillaient au vu de chacun, qui pouvait venir jacasser ou criailler
au passage. Le bruit de nos galoches aux semelles de bois ou de gros
cuir solidement clouté, ferrées du bout et même de
l'arrière, n'était troublé que par le rare
tintamarre d'une lourde "charte" ou d'une plus légère
charrette qui venait livrer des barriques ou des planches. Le matin
passaient les "boueux" qui ramassaient dans d'énormes et
odorants chariots tous les sous-produits des ménages et des
métiers, regroupés dans des seaux percés ou de
vieilles caisses demi-disjointes bousculées au passage. La
dernière montée, fort rude aboutissait à une place
mi-sable mi-herbe, qui desservait à la fois l'Ecole et le Jardin
des Plantes.
La classe commençait à 8 heures,
se terminait à 11, reprenait à une heure pour finir
à quatre. Suivait une heure "d'étude surveillée",
facultative dans les petites classes, obligatoire au Cours
Complémentaire (où une seconde suivait sous la houlette
de M. Noyer ou de M. Faucher son collaborateur "scientifique"). L'heure
solaire l'emportait, la où personne n'avait de montre (sauf aux
jours de fête), où l'on regardait l'heure au soleil (un
beau geste) on la devinait au quart d'heure près, ou moins (que
faire des précisions de minute, car qui prenait le train ?).
Il y avait six classes (peut-être 7 avec
l'amorce du Cours Complémentaire), les deux cours (la "grande" et
la "petite") étaient semées de graviers (de Loire ?) bien
durs aux genoux nus, et plantées de gros tilleuls aux troncs
boursouflés. Un quart d'heure de "récré" main et
soir, avec des jeux (les barres, le drapeau, la marelle un moment, les
billes souvent, la pelote contre le mur du "préau" pour les plus
grands) et de rares bagarres, les "maîtres" surveillants
intervenant vite d'un sec coup de sifflet, et n'hésitant pas
à séparer les batailleurs par de solides taloches, qui
paraissaient normales à tout le monde, parents compris. On
entrait en classe "en rang par deux", au sifflet, après la
visite des mains... et des cheveux !
En classe,
bras croisés pour écouter "la leçon", dans un
silence le plus souvent parfait (sauf chez un ou deux maîtres
plus coulants, un charmant artiste barbu notamment), et mis à
part d'incorrigibles bavards et râleurs, dont j'étais.
Séances interminables de lecture à haute voix, "avec le
ton" si possible ; les deux problèmes du matin, suivis de
quelques autres pour les trop rapides ; "composition française"
deux fois la semaine, dictée quotidienne, leçons strictes
d'histoire-Lavisse (qui nous a tous marqués), de
géographie avec cartes précises, à reproduire,
parfois à rêver (ah ! le Popocatepetl, le Kilimandjaro, le
Triafajavona, le Fujiyama et le canal de Pangalanes et la Betsiboka,
(comment croire que je puisse les voir ?) ; et puis la "science" qui
m'ennuyait autant que le dessin et l'écriture, où
j'étais inapte.
Combien de nos petits-enfants concevraient et
supporteraient un tel enseignement, une telle discipline ? Il
était certes de son temps, mais formait des garçons
pourvus de bases fort solides, parfois un peu simples, mais que leur
demandait-on de plus, puisque presque tous étaient
destinés, le "certif" et la douzième année
passés, à entrer en apprentissage dans quelque
métier manuel ou à gratter du papier (il fallait une
"belle main d'écriture") dans tel bureau ou telle banque. Pour
former les élites, il y avait le collège, et les
écoles "libres", qui ne dédaignaient pas l'uniforme, et
enseignaient le sacro-saint latin (qui jouait le rôle actuel des
maths), et ailleurs l'enseignement religieux. Cet enseignement
religieux pour lequel l'école publique réservait le jeudi
et acceptait les "retraites" d'avant les communions, fêtes
familiales couramment célébrées... De solides
bagarres s'engageaient parfois cependant, le soir après la classe
ou l'étude, avec ceux de l'école libre de Nantilly; on y
défendait aucun principe, mais on pratiquait l'un des sports
favoris (avec le "foot" qui "montait") des jeunes garçons.
Des silhouettes de "maîtres" et de
"sous-maîtres" revivent sûrement dans nos vieilles
mémoires. Ainsi, on peut revoir "Dupé" - M. Duperray - le
premier directeur connu, avec son canotier, sa moustache en brosse, son
impeccable costume sombre, sa voix de commandement et son vigoureux
coup de sifflet, qui devait immobiliser chaque gamin. Lui
succéda M. Noyer, dit "le Patron" : la même
autorité, plus d'élégance, un sourire et un regard
pénétrant qu'on ne peut oublier, une bibliothèque
presque inépuisable, une incroyable culture... et ses sportives
descentes des Récollets vers la ville, sur son clinquant
vélo à pneus dits "ballon", ou dans la fringante
Rosengart qui chassait les cailloux dans chaque virage. Il y eut aussi
un certain M. Proust, petit, brun, sec, moustachu
élégamment, et doté d'une jambe artificielle -
tous avaient fait la guerre, beaucoup en portaient les traces, peu en
parlaient - une jambe artificielle qui atteignait parfois des
postérieurs de paresseux, voués en outre à aller
s'aligner le long de la fameuse "marquise" jusqu'à leçon
sue et récitée... Et qui se souvient du "Père
Robert" avec sa barbe, son embonpoint, les fines aquarelles dont il
ornait les murs, l'instrument de cuivre qu'il apportait parfois, son
art de la lecture (ah! les lettres de Mon Moulin à dix ans), ses
légères somnolences et sa tolérance aux murmures
et aux rires. Et Périer - la classe du "certif" - qui avait
à cœur de voir au moins 38 de ses quarante galopins
reçus à l'examen, et raflant toutes les mentions
Très Bien...
Et, après s'être rangés
auprès du portail, on redescendait, en rang par deux toujours,
vers les trois directions rituelles, la serviette bien chargée,
frappant fortement le pavé de nos galoches cloutées,
dignes du nom de "sabotins" dont nous gratifiaient quelque
commères de la Grand'Rue, sous leurs bonnets ronds et
tuyautés, encore très fréquents.
Et cela durait jusqu'au 31 juillet, à
peine troublé par le Carrousel ou "les courses" (de chevaux),
avant que ne s'écoulent et ne s'étirent les deux mois
d'été, où chacun collaborait aux travaux
ménagers ou horticoles (ah! l'éboutage des haricots !),
tâchait de trouver des livres ( la bibliothèque
municipale, fort riche, fermait hélas un mois), on organisait
quelques excursions en vélo, avec une coinchée ou une
belote à l'étape, devant une canette de bière...
pour quatre. Presque personne ne "partait en vacances", sinon chez
quelque aïeul (rare alors) ou quelque tante, où pouvait se
trouver des cousins et des cousines, malheureusement bien trop
absorbés par les tâches estivales de ces paysans aussi
fins que rudes, mais qui se mirent bientôt à
considérer mes mains trop blanches comme "des mains de
fainéant", puisque, après longues discussions, mes
parents avaient accepté que "je continue aux écoles".
Souvenirs sans doute adoucis par l'âge -
il en est de plus rudes -, mais qui ne visent qu'à apporter un
témoignage, qui peut surprendre les uns et les autres, comme ils
ont parfois stupéfié mes petits-enfants, à demi
incrédules.
Pierre GOUBERT
les Récollets 1921-1931
(Article paru dans le bulletin n°6 - avril 1990)
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LES CONQUISTADORES
de Gérard
BRECQ, élève aux Récollets de 1941 à 1945
LES CONQUISTADORES
« Ils allaient conquérir ce fabuleux métal »…
: - : - : - : - : - : -
Ah
! C’était l’évasion pendant ces années
de guerre. Monsieur BOUTREUX, notre bon maître,
s’évertuait à appuyer sur certaines syllabes,
l’index dressé. Nous devions, grâce à ses
soins attentifs, découvrir les chefs-d’œuvre de
l’Anthologie poétique. Il possédait l’art
d’éveiller les somnolences chez les adolescents
sous-alimentés. Nous avions quinze ans alors…
Toutes
les espiègleries étaient notre exutoire…A cet
âge, on survivait au rationnement et, à défaut de
ce « fabuleux métal » qui nous emportait vers
« Cipango et ses mines lointaines », plus prosaïque,
un petit démon taquinait nos jeunesses.
Le
lycée de jeunes filles était si proche des
Récollets… Elles passaient, en petits groupes, dans la
rue. Un léger bonjour de la main. Le rêve était
là. Sous-jacente, l’âme des conquistadores
frémissait en nous. Ce n’était pas de
l’érotisme mais ces petits seins qui commençaient
à poindre, tels des bourgeons sur des fleurs, ces hanches qui
dodelinaient agaçaient ces puceaux appelés à
des voyages mirifiques.
L’occasion
s’offrit par un « F.C. ». Il existe un langage tacite
contre tous les oppresseurs. En prison, les voisins de cellules tapent
en morse sur les tuyaux d’eau pour communiquer. Le F.C. –
qui signifiait « Faites circuler » - était un
libellé sur un petit morceau de papier. A l’inattention du
maître, il glissait de mains en mains, parfois coincé
entre le genou et le pupitre. La surdité de M. Boutreux nous
permettait, en bloquant les deux mâchoires dans un sourire de
mauvais aloi, d’insister sur F.C. en prolongeant la
dernière lettre d’un léger sifflement
jusqu’au dernier souffle. Ce bref message nous conviait, en
soirée, après l’étude, à rendre
visite aux demoiselles de l’internat.
Félicité
suprême ! Nous étions attendus. Lesquels avaient
été remarqués ? Chasseurs, nous allions capter nos
biches. Certaines seraient peut-être farouches. L’ombre du
parc était si proche. Elles y viendraient
peut-être…Alors, il ne faut jurer de rien, nous
étions prêts à les soumettre à notre virile
puissance.
Ce
soir d’octobre ou de novembre, la nuit était tombée
tôt, plus noire que jamais, froide et sans aucun nuage. Pas
question d’escalader les hautes grilles pointues. Le plan
d’attaque mis au point par certains stratèges
prévoyait de passer par le Jardin des Plantes, de gravir le mur
mitoyen. Pas facile pour les plus petits, hissés par les plus
grands. Pas d’éclairage, quelques furtives allumettes. Les
branches craquaient sous nos pieds. Expédition nocturne,
où, là-haut, sur le faîte de la colline,
scintillaient faiblement les vitres bleues de nos lycéennes.
Parmi les bosquets, certains chutaient, blaguaient à voix basse.
Ces conquistadores allaient découvrir du fond de cet
océan des étoiles nouvelles. Le sort en était
jeté : l’aventure était là.
Nous
étions une douzaine de trublions, dégingandés de
l’aventure, certains portant encore des culottes courtes. Visages
poupins ou chevaliers boutonneux prêts à toutes les
escapades. Avec ce mur qui nous avait raboté les fesses nous
désirions passer – non de vie à trépas
– mais du marasme de l’enfance à la
félicité des adultes. Ce mur, c’était
l’au-delà. Nous l’avions ausculté, senti ses
failles où nous agripper la nuit venue. Il ouvrait ses portes
sur la sublimation du rêve, sur un dessein si prometteur…
Griffés
par les boqueteaux, lacérés par les épines,
heurtés par les socles stupides des statues, nous avancions. Pas
de victoire sans embûches. Un escalier monumental
s’offrit à nous. A tâtons, nous gravissions les
marches sans fin d’un temple. Là-haut était
l’offertoire. Tels les Incas au long d’interminables
gradations montaient vers le but suprême, tels les suivaient les
pas avides des conquistadores éberlués.
Qu’allait-il advenir ? L’amour a ses phantasmes que la
raison ne connaît pas. Nos premières étreintes
étaient là, à quelques pas de nous. Mais que
d’obscurité pour atteindre ces douces lueurs
d’espérance !
Soudain,
une lampe électrique balaya la plate-forme où nous
arrivions le cœur battant. Les signaux convenus, codés,
nous impliquaient. Nos jouvencelles étaient au rendez-vous. Du
premier étage, parmi des gloussements, des rires feutrés,
des caquetages de jeunes poulettes, elles nous répondaient. Dire
que l’on ne comprenait pas la manœuvre à
opérer ce serait expliquer le miracle de l’amour. Dans la
nuit, à une dizaine de mètres, les deux groupes
s’interrogeaient. Les plus vaillants voulaient monter
déjà vers les dortoirs. Dénégations. Ces
demoiselles craignaient le retour de la pionne, qui, normalement,
devait s’absenter. Un retour était peut-être
possible. Il fallait attendre. On s’agaçait dans les
rangs. Les impulsifs furent retenus. Don Juan, sous les balcons de
Séville, était un fin calculateur. L’attaque devait
s’effectuer en rangs serrés, comme Cortès ou
Pizzare, avec la certitude de la victoire.
Tout
ce va-et-vient, là-haut, nous était
incompréhensible. Lueurs furtives, bras levés, appels,
clignotements de lampes, rires étouffés. Une sorte
d’hystérie collective les agitait. Dressés au long
de nos buissons, nous en étions presque fiers, comme des coqs
inspectant leur basse-cour. Jamais nous n’avions suscité
un tel émoi. Pendant un quart d’heure
d’atermoiements, de messages adressés du bout des
lèvres avec la main en porte-voix, nous sûmes les
désarrois occasionnés par nos impétueuses
présences.
« Encore cinq minutes ! Attendez ! Elle est partie ! »
Ces
bribes nous parvenaient, presque inaudibles. Notre excitation
grandissait. Bientôt, le grand chambardement. Cette
mystérieuse pionne, décidément,
n’était là que pour contrarier nos plans. Elle
allait partir. Les filles seraient libres. Les béguins, les
œillades de la rue, les petits saluts complices allaient
connaître un dénouement merveilleux.
Elles
se penchaient aux fenêtres. Le ton était
déjà confidentiel : « Approchez ! On a les
trousseaux de clés ! »
Ebahis, confiants, dans un état d’hébétude inexplicable les douze benêts firent quelques pas.
« Approchez ! Approchez ! On va vous indiquer le chemin ! »
La
lampe électrique balayait largement nos faces
alléchées. On n’y voyait goutte. La
lumière crue nous aveuglait. Les poètes ont
évoqué le ravissement des muses de Sicile, l’ardeur
de Philémon pour Baucis…
Brusquement,
quelques seaux d’eau, adroitement jetés, nous
inondèrent – non de joie - mais de leur
réalité glaciale. Transis, nous détalâmes
prestement. Nos idoles, là-haut, gloussaient éperdument
tandis que nous levions des poings vengeurs dans la nuit.
Les conquistadores s’en revenaient d’un nouveau monde qui n’a pas encore fini de les étonner.
Gérard BRECQ
Les Récollets 1941 - 1945
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Élèves et Professeurs,
Croquis de Roger PAPILLON
L'oeuvre de Roger Papillon est consultable en ligne à : papi
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