Dans cette page retrouvez les textes que vous nous avez envoyés, mais aussi une sélection d'articles parus dans les bulletins de l'Association :


Les filles des années 50 aux Récollets, de Micheline DACHEUX

Voilà les Récollets, de Pierre CHOPIN

Ma scolarité aux Récollets, de André BEUZON

Le Vent d'hiver, de Jean GUÉRIN

Le Jardin des Plantes, de Micheline DACHEUX

Souvenir... Une leçon peu suivie, de Micheline DACHEUX 

Violence dans les Écoles, de Micheline DACHEUX 
               L'ordinateur et l'Association, de Micheline DACHEUX

La fête des Récollets,  de Micheline DACHEUX

Marcel APPEAU, de Pierre GOUBERT

Merci Monsieur POURRIN, de Micheline DACHEUX

Marcel POURRIN, de Paule TROUBAT

Nostalgie, de Paule TROUBAT

Sur le chemin de l'école, de Claude BOELDIEU

Un homme se penche sur son passé, de Abel MAILET

Récollets-Années 20, de Pierre GOUBERT

Les Conquistadores, de Gérard BRECQ

CROQUIS, de Roger PAPILLON

Les filles des années 50 aux Récollets

                                   de Micheline DACHEUX, les Récollets 1951-1954


Les filles des années 50 aux Récollets

----------Dans les années 50, les quelques filles "débarquées" dans cette traditionnelle école de garçons des Récollets, étaient bien déroutées de se retrouver dans ce milieu inhabituel (A l'époque, la mixité n'existait pas dans les écoles, les collèges et les lycées jusqu'en terminale). Nos nouveaux camarades étaient également bien intrigués par notre présence, mais ils étaient en nombre et prenaient des airs moqueurs et supérieurs !
----------Si, dans les classes, il n'y avait pas de différence dans le travail, à part le comportement des professeurs : ceux-ci tutoyaient les garçons, les interpellaient par leur patronyme et les rudoyaient parfois très fortement ; par contre, les filles étaient vouvoyées et appelées "mademoiselle" avec nom et prénom et n'étaient punies que par des copies de lignes et des séjours sous la fameuse "Marquise".
Par contre, la cour de récréation restait le domaine des garçons ; Ils y organisaient leurs jeux et ne nous invitaient pas à les partager ; Aussi, nous passions ces moments de détente à nous promener à plusieurs, bras-dessus, bras-dessous en faisant le tour de la cour.
----------Quand nous coupions un jeu, nous nous faisions fustiger. Parfois, les jours de pluie, quand nous passions dans une flaque d'eau, (combien nous étions naïves et bêtasses !) ils s'esclaffaient en ricanant et affirmaient avoir vu le reflet de nos dessous dans l'eau et nous poussions des cris scandalisés en resserrant précautionneusement nos jupes (Aucune fille ne portait le pantalon et même en hiver, il était fort rare de porter des chaussettes ou des bas, nous avions des socquettes et des mollets bleuis par le froid).
----------Il arrivait, quand le temps était vraiment maussade, de nous réfugier dans la cantine auprès de Mme Gohier la cantinière, et nous goûtions la chaleur du lieu. Les effluves des repas préparés dans les grandes marmites, n'étaient peut-être pas des plus raffinées, mais elles titillaient bien agréablement nos narines en ces fins de matinées. Hélas, souvent un professeur surpris de ne plus nous voir sur la cour, venait nous déloger de cet endroit douillet.
----------Jeanine était la moins timorée de nous toutes, elle répondait facilement et avait beaucoup d'aplomb auprès des professeurs. Un jour, en géométrie, elle se plaignit que le problème proposé était trop difficile. M. Gobin lui répliquât : "Vous dites "c'est facile " et le problème est à moitié trouvé !"
----------Quelque temps plus tard, M. Gobin rendant des copies sourit malicieusement à Jeanine : "Je vous ai quand même mis zéro !" Jeanine avait remis un devoir avec simplement sur sa feuille : "(c'est facile) 2 = problème résolu".
----------Un jour encore, Jeanine nous insupportait en déclamant "C'est ma fête aujourd'hui, c'est ma fête !" Avec un camarade, nous eûmes l'idée saugrenue de lui composer un bouquet avec carottes et poireaux, et de le punaiser à l'intérieur de son bureau. Quand M. Mercier, pendant le cours, demanda qu'on sorte les cahiers, Jeanine souleva son bureau et le referma vivement, se retenant de rire, elle recommença, et comme elle avait le rire facile, elle pouffa.
M. Mercier descendit de l'estrade et vint à son tour ouvrir le bureau ; Nous nous attendions au pire, mais chose étonnante, il sourit en voyant pendouiller ce superbe et inattendu bouquet. Jeanine prit son cahier, referma le bureau et le cours d'anglais continua comme si rien ne s'était passé.
Ouf ! Nous l'avions échappé belle !

Où que tu sois Jeanine, après ces 60 ans d'éloignement et de silence,
On te dit quand même, aujourd'hui... "Bonne fête"

 
       
Micheline DACHEUX

(Texte publié dans le bulletin n° 26 - Avril 2010)


Voilà les Récollets
                                   de Pierre CHOPIN, les Récollets 1932-39

Voilà les Récollets
 ....Je revois la petite cour, les très jeunes chez Mme BOUTREUX. De la seconde classe, j’ai oublié le nom du maître (mea-culpa). Puis celle de M. THARAULT, béret noir, blouson de cuir, ancien aviateur de la guerre 14. Son observateur, artisan-peintre,  habitait rue Pascal. La classe de M. BOURON, celle de mes débuts.

....La grande cour : le père ROBERT, son chapeau à larges bords, son cornet-à-pistons dont il jouait lorsqu’il nous apprenait « Il pleut bergère ». M. LETOILE, ses qualités d’enseignant, son chapeau rabattu des deux bords. Classe du « certif » M. BOURON, bon et dévoué maître. Je n’avais pas encore douze ans lorsque je fus reçu à l’examen avec mention.

....Enfin, préparatoire et cours complémentaire, univers nouveau, des professeurs : MM.  BOUTREUX, BRICARD, POURRIN, FAUCHER, les profs de musique et d’éducation physique. L’école industrielle, le bois, le plein air. Sans oublier, bien entendu, nos directeurs : M. NOYER, grand et sec, M. BOUTREUX et sa barbiche.

....Un souvenir : quelle année ? Sans doute 1946 ou 1947. Détaché à Berlin  je revins passer quelques jours chez mes parents. Dans une rue, près de l’Ecole de Cavalerie, j’aperçus M. BRICARD et son épouse. J’accourus et je dis : « M. BRICARD ! M. BRICARD ! ». Il se retourna et, tout essoufflé, je lui dis : « M. BRICARD, vous m’avez beaucoup apporté ». De grosses larmes coulèrent le long de sa moustache et de sa barbe que je fis semblant de ne pas voir.

....Voilà les Récollets !



Pierre CHOPIN
Les Récollets 1932- 1939

"Ceux qui ont assisté à la rencontre d’octobre 1995 ont vu les images d’une cassette vidéo tournée au cours de l’une des premières assemblées générales de l’association par notre camarade Pierre CHOPIN. Ce fut l’occasion pour lui de se remémorer les Récollets….avant la deuxième guerre  mondiale. Voici donc ses souvenirs de l’école, de son ambiance, de ses professeurs et maîtres."


    Je revois la petite cour, les très jeunes chez Mme BOUTREUX. De la seconde classe, j’ai oublié le nom du maître (mea-culpa). Puis celle de M. THARAULT, béret noir, blouson de cuir, ancien aviateur de la guerre 14. Son observateur, artisan-peintre,  habitait rue Pascal. La classe de M. BOURON, celle de mes débuts.

    La grande cour : le père ROBERT, son chapeau à larges bords, son cornet-à-pistons dont il jouait lorsqu’il nous apprenait « Il pleut bergère ». M. LETOILE, ses qualités d’enseignant, son chapeau rabattu des deux bords. Classe du « certif » M. BOURON, bon et dévoué maître. Je n’avais pas encore douze ans lorsque je fus reçu à l’examen avec mention.

    Enfin, préparatoire et cours complémentaire, univers nouveau, des professeurs : MM.  BOUTREUX, BRICARD, POURRIN, FAUCHER, les profs de musique et d’éducation physique. L’école industrielle, le bois, le plein air. Sans oublier, bien entendu, nos directeurs : M. NOYER, grand et sec, M. BOUTREUX et sa barbiche.

    Un souvenir : quelle année ? Sans doute 1946 ou 1947. Détaché à Berlin  je revins passer quelques jours chez mes parents. Dans une rue, près de l’Ecole de Cavalerie, j’aperçus M. BRICARD et son épouse. J’accourus et je dis : « M. BRICARD ! M. BRICARD ! ». Il se retourna et, tout essoufflé, je lui dis : « M. BRICARD, vous m’avez beaucoup apporté ». De grosses larmes coulèrent le long de sa moustache et de sa barbe que je fis semblant de ne pas voir.

Voilà les Récollets !



Le Vent d'hiver

                                   de Jean GUÉRIN, les Récollets 1955-57, 1960-65
     
Le Vent d'hiver

   
En 1957 nous quittons Saumur et la Rue de la Manutention, pour la Cité des Moulins à Bagneux. Mes parents ont fait construire une maison dans ce lotissement qui a poussé dans les prés, les vergers et les carrés de vigne, sous l'impulsion du maire Louis Mazé.

Je me souviens très bien de ce déménagement. Plus la date approchait, plus nous étions énervés. Nous allions quitter nos deux fois deux pièces pleines de souris, pour une maison neuve et un jardin... le rêve ! Et en plus il y avait un garage. Dans l'immédiat il servirait à abriter nos bicyclettes, car à cette époque les voitures étaient rares chez les particuliers. Mais le nec plus ultra à nos yeux, c'était la salle d'eau et les toilettes !! Fini de faire chauffer l'eau et de se laver dans le grand bac en zinc devant la cuisinière, fini de courir dans la cour pavée par tous les temps pour aller dans ces affreux cabinets nauséabonds où l'on croisait de gros rats d'égout. Ce changement était un véritable luxe.

Le jour "J" nous fûmes debout de bon matin. Nos parents, qui n'avaient pas dormi de toute la nuit, étaient déjà affairés à regrouper les caisses de vaisselle et d'objets divers devant la fenêtre de la cuisine. Nous habitions au rez-de-chaussée, et le moment venu, il n'y aurait qu'à l'ouvrir pour tout mettre dans la cour.

C'était un samedi du mois de mai, il faisait un joli temps, frais mais prometteur.  Les innombrables martinets qui rayaient le ciel dans tous les sens, lançaient depuis longtemps leurs piiiiiiiii ! piiiiiiii ! stridents. La journée semblait vraiment idéale pour un déménagement réussi.

Bientôt arriva notre voisin François, grand pêcheur de brochets et de sandres. Le café bu avec mes parents, ils commencèrent à démonter les lits, l'armoire et désosser la cuisinière.

Vers huit heures arriva Denis, un ami de Papa, vigneron à Varrains, accompagné d'un autre homme. C'étaient eux qui étaient chargés de convoyer nos meubles jusqu'à notre nouvelle maison. Ils n'avaient pas de camion, mais deux chevaux attelés à des charrettes à foin. Nous les avions entendu arriver de loin. Les sabots des chevaux et les roues ferrées des voitures ne passaient pas inaperçus, et depuis Varrains ils avaient dû en réveiller du monde ! Mais à l'époque, les chevaux étaient encore fréquents dans les rues des villes et leur passage n'étonnait personne.

Denis conduisait Bayard, cheval blanc obéisssant, fort et intelligent. Après concertation entre les hommes, il fut décidé que c'était lui qui entrerait dans la cour pour charger les meubles de la cuisine et de la salle à manger, l'autre attelage restant dans la rue pour charger les lits et le mobilier des chambres.
Faire entrer Bayard et sa charrette dans la cour ne fut pas une petite affaire, car la rue était étroite, le trottoir montait, et l'entrée du portail n'était pas large. Denis pris en main le cheval qui roulait ses gros yeux, exprimant son inquiétude. Il lui parlait doucement pour le mettre en confiance. Dans la manœuvre le mors lui tordait la bouche, mais l'homme et l'animal qui avaient tant travaillé ensemble, se connaissaient bien et se faisaient réciproquement confiance. Bayard était vraissemblablement plus à l'aise en campagne que dans l'univers minéral de la ville. Ses jambes nerveuses martelaient le sol, et ses sabots glissaient parfois sur les pavés polis par l'usage. Après plusieurs manœuvres pour se mettre en ligne, d'un coup de reins il tira la charrette dans la cour où Denis lui fit faire faire aussitôt demi-tour, pour qu'il soit prêt à repartir le moment venu.

Le chargement des deux charrettes était une affaire sérieuse, il convenait surtout de tout bien caler et d'arrimer convenablement les meubles, les caisses, la cuisinière, la machine à coudre, le poste de TSF et les outils de jardin pour ne rien perdre, ni en ressortant, ni en route. Quand tout fut encordé, vérifié, on prit par la rue de Lorraine, la rue d'Alsace et la Place Maupassant, la direction de Bagneux.

Denis m'avait fait monter dans la charrette à côté de lui. Je le connaissais déjà pour être allé avec Papa faire les vendanges chez lui au Clos Bonnet ou ailleurs. Il sentait une odeur mélée de vêtements mouillés, de vin, de foin, de sueur, de terre, de cheval, de souffre, de cave. Je l'aimais bien, il était gentil et bon. En regardant ses mains tachées, abimées par le travail, on pouvait lire sa vie de labeur, son tempérament d'homme dur au mal.

Le voyage se passa bien au rythme lent des chevaux. Les deux attelages arrivèrent à bon port malgré la rue de Bagneux dont la chaussée pavée était très bombée. Il ne fallait pas la prendre trop au bord, au risque de verser les affaires chargées sur les charrettes. Cette route était un piège à cyclistes, surtout par temps de pluie. On devait  rouler pratiquement au milieu de la chaussée pour ne pas glisser sur les pavés disjoints vers le caniveau et les bordures de trottoirs qui étaient très hautes..

Arrivé à destination tout le monde s'activa. Les hommes commencèrent à vider les charrettes et porter les affaires dans la maison sous l'œil inquiet de Maman :  n'y avait-il rien de cassé ?
Quand tout fut déchargé et sommairement installé, que les chevaux furent abreuvés et pansés (Denis avait emmené un sac de foin), on prit le temps de se reposer, et de bien casser la croûte pour se remettre de tous ces efforts.

Dans l'après-midi,  les déménageurs repartirent. Denis m'emmena avec lui, et au bout de quelques centaines de mètres il me confia les guides, et me laissa mener Bayard après quelques explications rapides. Jamais je n'avais imaginé une situation pareille. C'était complètement inattendu, et merveilleux !
Après une rapide prise en main, je constatais que le cheval était docile et répondait à la moindre sollicitation, c'était magique. Denis me laissa mener jusqu'à l'entrée du village de Munet où il reprit les commandes pour traverser ce bourg étroit, et il me les redonna après.

La route était devenue plus droite et le cheval n'avait pratiquement plus besoin d'être dirigé. Il avançait tranquillement de son pas régulier, comme par automatisme. En faisant cette constatation je fus un peu déçu car j'avais soudain le sentiment de ne servir à rien. Bayard s'en sortait très bien tout seul et il aurait sans doute pu nous emmener jusqu'à son écurie sans problème. Déconcerté, je jetais un regard à Denis, espérant trouver une réponse à cette question intérieure. Je vis qu'il avait rabattu son chapeau sur ses yeux et qu'il somnolait. J'étais donc seul, responsable de cette charrette brinquebalante tirée par un cheval indépendant qui avançait résolument au milieu de cette plaine où poussaient des milliers de fritillaires pintades  (que nous appelions colchiques). Je voyais arriver le pont du Thouet qui de loin ressemblait à une véritable barrière, car à cet endroit la route montait beaucoup. Je commençais à vraiment m'inquiéter. Comment se comporterait Bayard dans cette montée sérieuse ? Que fallait-il faire ? Devrais-je réveiller mon compagnon de route qui semblait dormir d'un lourd sommeil ?

Arrivés au bas de la côte, je sentis sur mon bras la main de Denis, tendue pour me reprendre les guides. Ouf !  j'étais sauvé. Le regardant, je vis un sourire de malice dans ses yeux... Il avait fait semblant de dormir, s'amusant sans doute de la situation. Il m'avait bien eu !!
Je restais chez lui jusqu'au soir jouer avec son fils, et il me ramena à la maison en automobile. Il donna quelques bouteilles de Breton et de Rosé de Cabernet à mes parents. Ils burent un verre ou deux en parlant de la journée. Papa lui fit part de ses projets qui étaient nombreux, notamment l'installation d'un chauffage central au charbon, et au bout d'un moment, Denis nous dit au revoir, monta dans son auto et rentra chez lui.
Pour un gamin de 8 ans, quelle formidable journée !

Le lundi suivant, je pris le chemin de ma nouvelle école. Nous étions en mai, il ne restait plus que quelques semaines pour arriver au terme de cette année scolaire 56-57.
J'avais fait la connaissance du Groupe Scolaire le jour où j'étais venu avec Maman pour me faire inscrire. L'école semblait neuve, les classes étaient grandes et claires avec du mobilier moderne, des tableaux pivotants qui m'avaient étonné. Les cours de récréation étaient vastes, il y avait de la place pour courir, mais pas de tilleuls... ça faisait vide et triste. De l'autre côté du grillage qui coupait la cour en deux, il y avait les filles. C'était très intéressant !

Ce jour de rentrée, je retrouvais à la récréation du matin quelques voisins du quartier que j'avais aperçus, car notre arrivée dans la cité avait été remarquée. Au coup de sifflet du directeur, tous les jeux s'arrêtèrent et les élèves se mirent en rang. Classe après classe on nous fit entrer dans les couloirs et chacun rejoignit son pupitre. Le maître M. Lebouc, me désigna une place qui serait désormais la mienne. J'étais le long de la fenêtre, d'où je pouvais voir l'épicerie (à l'époque Le Brisset) et le café du Dolmen. L'instituteur présenta "le petit nouveau" et, après la leçon de morale du jour, il nous fit sortir nos livres de lecture. Il commença à faire lire les élèves les uns après les autres. Quand ce fut mon tour, il énonça le titre du texte qu'il avait choisi : "Le Vent d'hiver, page 56". Je ne connaissais pas ce texte mais il ne me paraissait pas difficile. Lentement, mais sans hésitation, j'arrivais à le lire en "mettant le ton", comme j'avais appris à le faire aux Récollets. Le maître fort surpris m'adressa ses félicitations et me donna en exemple aux autres.

Qu'avais-je fait pour mériter tant d'éloges ? J'avais huit ans, je savais lire couramment car on avait su m'apprendre, qu'est ce qu'il y avait d'étonnant ?
 
A la rentrée de 1960, entrant en sixième, je retrouvais les Récollets devenus Collège. Marcel Appeau, nouveau directeur, avait pris la succession de Marcel Pourrin parti à la retraite, mais l'esprit était resté le même.

Merci à tous, instituteurs, professeurs et directeurs, qui avez réussi à nous inculquer avec tant de patience, la morale, l'instruction et la droiture, malgré nos réticences.


Jean Guérin
Les Récollets 1955-57, 1960-65



A. SOUCHÉ - LA LECTURE COURANTE ET LE FRANÇAIS
Cours élémentaire 1er degré
Librairie FERNAND NATHAN

35. Le Vent d'hiver

1. Hou ! hou ! hou! le vent souffle en tempête. Sa grande voix tour à tour gronde et gémit au dehors.
2. Il secoue les arbres, dont les branches craquent, s'entrechoquent et se brisent.
3. Il siffle sous les portes, hurle dans les cheminées, grince sur les toits.
4. Dans la rue, les passants courbent le dos sous la rafale. Parfois un chapeau s'envole brusquement et roule sur la chaussée comme un cerceau.

Le Jardin des Plantes

                                   de Micheline DACHEUX, les Récollets 1951-1954


Le Jardin des Plantes

Quel ancien des Récollets n'a pas gardé en mémoire ce charmant jardin des plantes qui jouxtait notre école ? Nous le traversions avec plaisir pour aller au Clos Coutard, lieu des exercices sportifs et de détente.
 
        Eté comme hiver, il nous semblait merveilleux avec ses grands arbres exotiques. Un chêne vert passait ses branches par-dessus le mur de l'école et les instituteurs n'omettaient jamais de nous le signaler quand le mot "yeuse' apparaissait dans une poésie. Un énorme cèdre ombrait le grand bassin circulaire; Il fut malheureusement déraciné au début d'un après-midi par une forte tornade. Dans ce bassin, nageaient carpes et poissons rouges en toute quiètude, une grille l'entourant et le protégeant  des jeunes enfants qui auraient voulu admirer de trop près ces bestioles aquatiques. Cette grille, n'était cependant pas infranchissable, car j'ai ouï dire par des anciens des Récollets, qu'au cours d'un hiver rigoureux qui avait gelé l'eau de ce fameux bassin, quelques élèves de notre chère école, avaient eu l'idée saugrenue de pousser au milieu du dit bassin... la brouette des jardiniers ! La glace était suffisamment solide pour supporter le poids d'une brouette, mais pas celui d'un jardinier! Je ne sais pas comment s'est terminée cette farce pour ses auteurs devenus par la suite d'honorables Saumurois ?
        Ce jardin était plein de mystères. Il y avait des coins et des recoins formidables pour se cacher. Quand nous allions au stade, nous nous attardions souvent pour déchiffrer les mots gravés sur les anciennes pierres tombales qui surplombaient les escaliers qui conduisaient vers les grandes haies de buis et de hêtres. Dans les années cinquante, ces haies servaient de vestiaires aux quelques élèves filles qui embarrassaient les cours de gym destinés plus précisément aux garçons. Aussi, prenions nous tout notre temps pour nous mettre en tenue de sport, assurées de ne pas être attendues de pied ferme pour débuter le cours!
        Les serres du jardin, abritaient tous les semis des plantes qui ornaient les parterres de la ville à la belle saison et le chef jardinier, M. Papillon élevait de précieuses orchidées avec beaucoup de passion. Le soir, pendant l'étude, nous guettions le moment où les jardiniers apparaissaient sur la passerelle de la grande serre, face aux classes : Ils déroulaient avec précision, les paillons qui mettraient les plantes à l'abri de la fraîcheur de la nuit. Pour nous, écoliers, cela signifiait que l'étude arrivait à son terme, il était 19 heures.
        Au fil des années, ce jardin perdit une partie de son intérêt pour la ville, car un semblant d'abandon s'abattit sur lui, il devint le repaire de quelques chenapans qui brisèrent les vitres des serres à jets de pierres ou de ballons ou qui vidèrent méchamment les bassins de leurs hôtes. Les Saumurois hésitaient à le traverser la nuit tombée. Depuis plusieurs années de nombreux bruits couraient sur son devenir : il allait être vendu, devenir une propriété privée, des promoteurs s'intéressaient à lui... bref, des propos bien alarmants.
         Et puis, cette année, à la cérémonie des voeux municipaux, M. le maire a avancé le projet de réhabilitation de ce jardin des plantes. Mon coeur a souri. Ce jardin fait partie des souvenirs des anciens des Récollets, alors espérons sa rénovation assez prochaine.

Micheline DACHEUX


Souvenir... Une leçon peu suivie 

                                   de Micheline DACHEUX, les Récollets 1951-1954    

Une leçon peu suivie

D
ans la classe de 3ème, celle qui jouxtait le grand porche, quelques souris taquines avaient pris l'habitude de s'y promener ; leurs déplacements furtifs et silencieux nous amusaient pendant les cours, elles nous étaient sympathiques.

Mais un jour, notre directeur, monsieur Pourrin, accompagné d'un impressionnant employé de la ville, genre égoutier, chaussé d'énormes bottes et muni d'un seau rempli d'une mixture empoisonnée, fit déposer des appâts destructeurs dans les placards de la classe. Nous étions "de service" un camarade et moi, et avions assisté à l'opération. Au départ des deux visiteurs, et d'un commun accord, nous éliminâmes ce piège perfide.

Ainsi, nos souris continuèrent en toute tranquillité leur vagabondage à notre plus grande joie. Un matin, le jeu se corsa ; Monsieur M.... professeur d'anglais avait le haut du crâne très dégarni - cela fait très distingué, dit on ! - et, assis sur la chaise perchée sur l'estrade, il se renversa la tête appuyée contre le mur, au-dessus du lambris... Soudain, une souricette pressée arpenta le fameux lambris. Nous avions les yeux fixés sur elle, bien loin des verbes irréguliers de la langue  de Shakespeare. L'animal avait sans doute l'habitude de changer de placard en empruntant ce chemin ; mais cette fois, elle trouvait un obstacle sérieux.

Arrivée à la hauteur du crâne de notre mentor, elle hésita puis s'arrêta. Intérieurement, nous parions : "Passera ? Passera pas ? "Imaginant déjà la bestiole escaladant ce front dénudé qui lui faisait barrage. Elle se mit sur ses pattes arrière, examinant cette situation insolite ; son museau frémit, ses moustaches s'agitèrent... "vas-y, vas-y" pensions nous tout bas.

Hélas, le professeur se redressa sur sa chaise... Affolée, Souricette repartit bien vite vers son placard protecteur. Le suspense était terminé et, catastrophe, le retour sur cette terre fut violent : M. M... annonça : "Interrogation écrite", sortant ses fameux petits rectangles de papier qu'il avait l'habitude de préparer pour ce genre de travail.

M. M... ne sut sans doute jamais le danger ridicule qu'il risqua ce matin-là et la déception de ses élèves un peu facétieux. C'était en 195... Il y a bien longtemps maintenant.


Micheline DACHEUX



Violence dans les Écoles 

                                   de Micheline DACHEUX, les Récollets 1951-1954    


Vous avez dit violence dans les écoles ?

Chaque semaine bientôt, la presse, la télévision nous font part d'une agression perpétrée par un élève contre un professeur ou contre un camarade au sein d'un établissement scolaire.

Nous, anciens élèves des Récollets qui avons connu la toute puissance du Maître, source de savoir et d'autorité, sommes surpris et interrogatifs.

Autrefois, les élèves, souvent nombreux, étaient scolarisés dans des classes parfois exiguës, peu accueillantes et sans grand confort. Les règles de travail, de discipline et de respect du maître étaient bien établies et les familles les approuvaient. L'enfant venait là pour apprendre, pour obtenir un bon métier après le brevet. L'entrée dans les Postes, dans les banques, à la SNCF, dans l'enseignement, était un rêve que caressaient les parents. Et il est vrai que ces règles permettaient aux instituteurs et surtout aux élèves de fournir un travail scolaire sérieux.

Oh ! nous n'étions pas des anges et enfreindre la discipline était bien tentant avec la complicité de bons copains, mais c'était aussi prendre le risque d'une réprimande, d'une sévère punition, d'un séjour plus ou moins prolongé sous la marquise.

La sanction n'était pas acceptée, bien sûr de gaieté de cœur, mais on s'en voulait plus de s'être fait bêtement pincer (on se promettait de mieux s'y prendre la prochaine fois). En revanche, les punitions injustes soulevaient la révolte, on en voulait au maître qui l'avait infligée, on en parlait aux copains qu'on prenait à témoins, on projetait de terribles représailles et bien souvent cela s'arrêtait là. Oh ! il y avait bien de temps à autre des punaises qui dressaient triomphalement leur pointe sur une docte chaise, des taches d'encre bien étoilées qui fleurissaient fort joliment la blouse ou le veston des maîtres incriminés, mais des injures verbales, des violences physiques envers eux n'étaient pas imaginables.

La cour de récréation était surveillée par nos instituteurs toujours réunis sous la marquise (qui a oublié cette vénérable marquise ?). Les garçons organisaient des jeux : le béret, les barres, l'épervier, le loup et le billes. Des bagarres ? Bien sûr. Il y avait des différents qui ressortaient de ces distractions mais les coups étaient rares et risqués. Les antagonistes avaient toutes les chances de terminer leur récré appuyés contre une colonne de la marquise avec une copie de cent lignes ou un coup de pied dans la partie la plus charnue de leur individu !

D'autre part, bien des élèves, le matin, rejoignaient les Récollets après une bonne marche ou une longue course à bicyclette. Certains avaient même apporté avant leur départ, une aide physique à leurs parents pour des travaux à la maison ou à la ferme, et ces diverses fatigues calmaient l'envie de se dépenser en violence à l'école.

Absente de nos mœurs, la télévision n'apportait pas des modèles de rixes ou de bagarres, la cigarette se fumait rarement dans les toilettes, la drogue était un mot inconnu et la perpective du chômage était bien restreinte. En fait, si notre jeunesse n'a pas connu les soi-disant exaltations de la jeunesse d'aujourd'hui, c'est parce qu'elle était bien protégée : elle aspirait à un avenir prometteur, elle n'était pas blasée, tous les rêves avaient cours.

Nos enseignants n'étaient pas tous particulièrement tendres ni compréhensifs, mais au fond, on les aimait bien, on les aime même encore, ils sont toujours parmi nous.


Ah ! que les maîtres et les élèves étaient heureux autrefois... mais ils ne le savaient pas !


Micheline DACHEUX

("Le Mot de la Secrétaire" - Bulletin n°17 - avril 2001)


L'ordinateur et l'Association

                                   de Micheline DACHEUX, les Récollets 1951-1954    

L'ordinateur et l'Association


..........Bravo ! Nos jeunes camarades savent utiliser à bon escient ce matériel moderne et magique qu'est l'ordinateur et le service Internet. Rien ne les arrête, ils tapotent et tapotent encore sur le clavier et retrouvent, à des kilomètres de là des copains et des copines avec lesquels, comme on dit, ils ont usé leur fond de culotte sur les mêmes bancs de l'école des Récollets, et qu'ils avaient parfois perdus de vue depuis des lustres.

..........Ils échangent des photos, des identités, des messages, heureux de se retrouver, prêts à adhérer à l'association ! C'est formidable, en un tour de main, ils doublent bientôt le nombre des adhérents !

..........Quand nous autres, les plus anciens avions la chance de repérer, au gré des hasards, un de ces rares spécimens ayant fréquenté  les Récollets, et à qui nous proposions, de vive voix de se retrouver dans l'association, nous avions bien souvent des réponses évasives du genre "oh ! tu sais, je n'ai pas l'esprit ancien combattant..." ou, "rien ne presse, je te rappellerai" ou encore "d'accord, mais on verra plus tard" et en fait on ne voyait rien... Et nous, nous nous inquiétions sérieusement pour la pérennité de notre amicale.

..........Alors, merci de permettre à l'Association des Anciens Elèves des Récollets de vivre plus longtemps et merci à ceux qui viennent rejoindre les "Vieux".

Mais au fond, quand nous sommes ensemble nous redevenons des adolescents, au moins pour la journée...

 


Micheline DACHEUX
Les Récollets 1951-54

("Le Mot de la Secrétaire" (extrait) - Bulletin n°24 - mars 2008)


La Fête des Récollets

                                   de Micheline DACHEUX, les Récollets 1951-1954                    

La Fête des Récollets

........Année 2006, en ce début d'avril, avec le retour des Rameaux, nous revient la fête des Récollets. Souvenez-vous copains des Récollets cette invasion de forains dans la rue Hoche, qui installaient leurs stands sur les trottoirs et jusqu'au pied de l'église de Nantilly ! Nous qui venions du sud, c'est à dire de Bagneux et de Saint-Florent, nous profitions pleinement des préparatifs de cette kermesse. Le soir nous nous attardions pour observer l'évolution du montage des manèges et, le dimanche, nous allions "y faire un tour". On n'avait guère d'argent à dépenser, mais c'était la fête et nous en profitions par les yeux, les oreilles et le nez ! Souvenez-vous du parfum des berlingots colorés que les confiseurs étiraient à bout de bras avant de les découper sur le marbre, de l'odeur des cacahuètes grillées qu'un vendeur proposait, encore toutes chaudes, dans un vaste panier d'osier, du parfum de ces miraculeuses barbes-à- qui n'en finissaient plus de prendre du volume dans leur machine et qui, soudain, s'échappaient sous nos doigts gourmands !

........Le bruit des différentes musiques et des divers vrombissements était assourdissant et nous devions crier pour nous entendre, ce que nous faisions avec plaisir.

........Il y avait ces mystérieuses baraques dans lesquelles on coupait une femme en deux et des diseuses de bonne aventure qui, dans leurs robes chamarrées, nous interpellaient par leurs boniments alléchants mais on s'en méfiait, sait-on jamais !

........Les loteries nous faisaient miroiter de magnifiques lots qui, en fait, ne quittaient jamais leur tablette d'exposition. Nous sursautions au bruit sec des carabines que des adultes manœuvraient pour exercer leur adresse sur des pipes en faïence disposées en éventail. Les autos tamponneuses avaient notre préférence ; elles nous procuraient de bons fous rires avec la maladresse de certains conducteurs et puis, nous pouvions les conduire, le rêve !
Nous frissonnions au bruit infernal produit par ces motos qui tournaient en montant le long de la paroi d'un énorme cylindre ; cette attraction était presque toujours installée devant l'église de Nantilly. Et j'en oublie ...

........C'était ça la fête des Récollets, pour nous écoliers, et elle nous annonçait également les vacances de Pâques qui débutaient la veille des Rameaux, il y a quelques décennies ...



Micheline DACHEUX
Les Récollets 1951-54

   


Marcel APPEAU

                                   de Pierre GOUBERT, les Récollets 1921-1931
Marcel APPEAU

..........Un juste, un rigoureux, un fidèle, tel m'apparaît celui qui vient de disparaître. Je l'ai connu aux Récollets à la fin des années vingt, suivi à l'Ecole Normale d'Angers et perdu de vue assez longtemps parce que nos routes ont divergé. Puis, grâce à cette association d'anciens élèves qu'il animait pour une bonne part depuis une bonne douzaine d'années, nous nous sommes rencontrés à nouveau et nous avons noué une amitié croissante, curieusement imprévisible lors de notre lointaine jeunesse, que nous n'avons pas vécue de la même façon.
..........J'ai donc retrouvé sa rare lucidité, son horreur du bavardage et de tout excès, découvert une carrière que je soupçonnais à peine et un courage à la fois silencieux et implacable face aux épreuves qui ne lui manquèrent pas.

..........À Saumur comme à Angers, à côté d'une réussite scolaire aisée on voyait aussi le sportif, sprinter et footballeur de talent, qui s'entourait particulièrement de sportifs comme lui. Revenu à Saumur ou tout auprès, après de rudes années de captivité, il enseigna avec plaisir, avant d'être chargé de l'éducation physique dans diverse écoles de la ville, puis s'installa dans l'école (et cours complémentaire) où nous avions tous deux été formés, et de quelle admirable manière. Et puis surtout, il osa, parce qu'il savait qu'il le pouvait, qu'il en avait intellectuellement besoin et sans doute qu'il en récolterait quelque jour les fruits, entamer, la trentaine bien sonnée, des études supérieures à l'université la plus proche, Poitiers. Elle accueillit avec surprise et sympathie cet étudiant d'âge inhabituel, de culture et de finesse rares. Licencié ès-lettres, avec un goût ancien et prometteur pour l'histoire, il obtint la direction du Cours Complémentaire de notre jeunesse qui lui était aussi cher qu'à moi. Ce que fut son action comme Directeur de cet établissement, transformé en Collège et descendu du Jardin des Plantes au Chemin Vert, je le sais mal et c'est à d'autres de le dire. Mais je suis sûr qu'il sut hautement administrer, régler, arbitrer, encourager et au besoin gourmander : il était aussi fait pour ce difficile métier.

..........Retraité dans une maison entourée de roses et de glycine, qu'il avait fait ériger pour de longues et riches années, il s'entoura de centaines de livres, sélectionna des voyages et de fort beaux sites auprès de ceux qui lui étaient chers et notamment avec un cousin romain qui lui fit connaître la Ville dite Éternelle pour laquelle il éprouvait la même passion que moi. Il devint aussi notre initiateur en Champigny, Bonnezaux et Quarts-de-Chaumes. Il nous accueillait trois fois l'an environ, portes ouvertes, jardin fleuri, sourire aux lèvres et œil spirituellement brillant. Je compris vite que, passionné d'histoire, il était passé des livres à la lecture des archives, seule démarche qui vaille. Il avait beaucoup travaillé sur Saumur, notamment avant, pendant et après la Révolution, puis au siècle suivant et aux origines de notre vieille école, mais aussi sur l'ancienne province d'Anjou. Il conviendrait de réunir tout ce qu'il a publié dans le bulletin de notre Association d'anciens élèves et ce qu'il conservait en manuscrit. Et tout cela fut une riche retraite.

..........J'ai toujours pensé que les disparus qui nous furent et restent chers ne meurent jamais. Ils continuent à vivre dans le souvenir. C'est pourquoi je verrai toujours, et entendrai aussi, le sourire discret, l'œil brillant et la parole chaleureuse et dominée de Marcel APPEAU.

Pierre GOUBERT
Les Récollets 1921-31

(Article paru dans le bulletin n°13 - mai 1996)



Marcel APPEAU est décédé le 25 mai 1996
Voir l'article du Courrier de l'Ouest


Merci Monsieur POURRIN



Merci Monsieur POURRIN
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......Ce mot est plein de nostalgie, nostalgie de mes quinze ans, des camarades et professeurs disparus bref nostalgie de ma jeunesse...

.....J'écris sans doute des souvenirs de faits qui pourront paraître erronés mais à treize ans on perçoit, on juge les événements différemment qu'à l'âge adulte. J'avoue que plus tard, je n'ai pas cherché à savoir s'il y avait eu des instructions de l'éducation nationale, je me suis contentée de croire que, grâce à Monsieur POURRIN j'avais eu la chance de suivre des études et j'en suis restée très reconnaissante aux Récollets.

.....Aujourd'hui je veux seulement rendre hommage à cet homme au nom de toutes les jeunes filles auxquelles il a permis d'accéder aux études secondaires.

.....Si un cours complémentaire existait depuis longtemps à Saumur pour les garçons, accueillis même après le certificat d'études primaires, rien de semblable n'était possible aux filles. Les fillettes qui n'étaient pas entrées en sixième à onze ans, au collège, passaient le certificat d'études à l'école primaire et entraient en apprentissage.

.....Vers les années 1950, peut-être avant, je ne sais, Monsieur POURRIN, alors directeur des Récollets, contactait les directrices des écoles de   filles pour leur proposer d'orienter certaines de leurs élèves vers son cours complémentaire dès treize ans. Scandale ! Des filles dans une école de garçons ! C'était une première. Mais il y avait des conditions : officiellement nous ne pouvions pas être inscrites en section générale; nous devions suivre la section commerciale seule autorisée pour les écolières de ce cours complémentaire. Nous devions être des élèves "pas trop mauvaises". A ce sujet, la directrice de Bagneux Mademoiselle NICOLAS, nous faisait maintes recommandations : nous devions "honorer" son école et, jusqu'à la classe de troisième, docilement, nous lui portions notre carnet de notes et recevions ses remarques. Heureuse époque pour les maîtres ! D'autre part, nous étions averties du travail à fournir pour obtenir le B.EP.C. : nous passions directement en cinquième et, à l'enseignement général que l'on suivait officieusement, il fallait ajouter les cours de comptabilité, de commerce, d'arithmétique commerciale, de sténo-dactylo. Par contre, nous n'assistions pas aux cours d'histoire et de sciences naturelles en cinquième et quatrième.

.....Monsieur POURRIN gérait, avec brio, ce panache d'études avec son équipe complice d'instituteurs-professeurs. L'étude de soir, de 17 à 19 h leur servait très souvent à nous donner un cours supplémentaire. Et, au troisième trimestre Monsieur LÉTOILE, alors chargé de la classe de fin d'études, s'évertuait, certains soirs, à nous transmettre le programme du "certif." pour que nous passions également cet examen.

.....Merci à vous Monsieur POURRIN, pour vos initiatives, et à tous ces maîtres qui s'associaient à vos projets. Je n'ai pas su le leur dire de leur vivant et je le regrette. Notre camarade Gérard PEAN trop tôt disparu -vers 30 ans- avait malicieusement enjolivé leur nom : M. BOUDAULT... coin, M. POURRIN... ou deux, M. MERCIER... bonjour, M. GOBIN... oeuf, M. PRUNET... poire, M. GANAULT (je ne sais plus)


L'ancienne élève Micheline DACHEUX
Les Récollets 1951-54

("Le Mot de la Secrétaire" - Article paru dans le bulletin n°20 - Avril 2004)


Marcel POURRIN

Marcel POURRIN



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Chaque année, notre association déplore la disparition de quelques-uns de ses membres. Parmi ceux qui nous ont quités en 2003, figure une personnalité saumuroise connue de tous : Marcel POURRIN, ancien directeur de notre école des Récollets.

........Lorsque j'ai été nommée au collège en 1963, il goûtait depuis trois ans les joies d'une retraite active et heureuse. Je ne parlerai donc pas du professeur, du directeur, laissant à ceux qui ont eu le bonheur de le connaître dans ces rôles le soin 'évoquer les anecdotes qu'ils ont vécues sous son règne souriant.
........L'été avec maman, nous allions les voir, Léone et lui, à Saint-Philbert, dans la petite maison fleurie, garnie de meubles souvent faits de ses mains. Nous en repartions avec des fleurs et des légumes qu'avec une volonté de fer, luttant contre la paralysie, aidé de dispositifs qu'il avait inventés et confectionnés, il s'acharnait à cultiver.
........Depuis qu'il était seul, il attendait la fin inéluctable avec la philosophie d'un sage. Au lieu de s'étendre sur les multiples handicaps qui rétrécissaient sa vie, il préférait égrener les souvenirs heureux d'un passé lointain.

........Il nous raconta ce premier voyage à Avignon, après la Grande Guerre, en 1920 (il avait 15 ans). Son père, gendarme dans les Deux-Sèvres, venait d'acheter une automobile. Ils n'avaient rencontré qu'une seule voiture jusqu'à Avignon, une voiture qui les avait croisés. Pas une seule ne les avait doublés ! Alors, naturellement, les deux automobilistes s'étaient arrêtés pour se saluer et comparer les mérites des deux marques.
........Il se met rapidement au volant. Pendant les vacances scolaires, il fait un peu le taxi. Quand un voisin a besoin de se rendre à Parthenay pour le marché ou à un rendez-vous chez l'oculiste, le père propose immanquablement : "Marcel va vous conduire !". Encouragé par la double bénédiction de son géniteur et de la maréchaussée, Marcel ne se fait pas prier ! Il n'a pas le permis de conduire, mais qu'importe ! La vitesse de l'auto et la rareté des véhicules sur la route rendent les accidents très improbables... Reconnaissant, le passager paie la course d'un lapin ou d'une petite pièce pour l'argent de poche du chauffeur.
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Avec quatre de ses camarades, il envisage le concours d'entrée à l'école normale de Parthenay (celle des filles est à Niort) mais ils restent dans la classe du certificat d'études où l'instituteur n'a guère le temps de les préparer sérieusement. Il est collé. En septembre, une cession de rattrapage a lieu à Angers. il s'y prépare et, cette fois, il est reçu.
........Pendant ces années d'études, il se fait remarquer pour l'intérêt qu'il porte aux sciences : participation aux expériences, bonnes notes aux devoirs... aussi, à la sortie de l' E.N. (Ecole Normale), on lui propose un poste à Daumeray, dans le Baugeois, puis au Cours Complémentaire de Segré pour enseigner cette discipline.
........Au bout de trois ou quatre années d'enseignement, il entend parler d'un stage à l'Ecole Nationale d'Agriculture de Rennes. Le recrutement est de 1 élève par département. Il pose sa candidature qui est acceptée. Il se retrouve là avec une dizaine d'autres instituteurs venant en majorité de l'Ouest. Pendant ce stage, ils suivent des cours à la faculté de Rennes où leurs connaissances surprennent les professeurs habitués à des élèves (fils de gros propriétaires terriens) plus portés sur les distractions que sur le travail. A la fin du stage, il est reçu à l'examen qui lui donne le droit d'enseigner l'agriculture dans une E.P.S. (Ecole Primaire Supérieure)
........Il est nommé à l'E.P.S. d'Angers, dans une classe de cinquième où, grosse déception, il doit enseigner toutes les disciplines... Ce travail ne lui plaît pas. Après un trimestre, il obtient un poste de sciences aux Récollets, à Saumur.

........Ayant pris avec la voiture paternelle le goût pour les automobiles, il achète bientôt une décapotable. Sa prestance, son charisme et la belle automobile en font instantanément une célébrité du chef lieu d'arrondissement !

........En août 1939, il est mobilisé, affecté au ravitaillement à Mulhouse. Il connaît bien la ville où, 15 ans plus tôt, il a effectué son service militaire. Les premières lignes sont à deux pas de là, au bord du Rhin, face à l'ennemi.
........Avec la débrouillardise dont il ne faut jamais se départir en période difficile, il trouve le moyen d'alimenter sa compagnie. Dans cette Alsace désertée par les habitants, les soldats font les récoltes : betteraves, blé, pommes de terre... posent des collets qui fournissent lapins et lièvres pour alimenter l'ordinaire.

........L'armistice le ramène à Saumur.

Il échange quelques relations amicales avec un soldat allemand antinazi qui parle bien le français. Un jour, ce dernier lui demande de lui prêter sa bicyclette pour qu'il puisse rejoindre une amie française.
Trop heureux de faciliter une idylle, M. Pourrin obtempère. Las ! C'est justement cette nuit-là que la compagnie allemande reçoit l'ordre de quitter les lieux à destination de la Russie ! Au moment du départ, l'amoureux manque à l'appel... Lorsqu'il rapporte le vélo, M. Pourrin le cache dans sa cave puis décide d'aller demander au capitaine de gendarmerie comment tirer le pauvre troufion  ennemi de ce mauvais pas. Il se prépare à pénétrer dans la cour de la gendarmerie quand un sixième sens (qui lui a déjà porté secours plusieurs fois) lui dicte de différer quelque peu sa démarche. Bien lui en prend. Discrètement tapi à l'écart, il voit sortir le capitaine de gendarmerie encadré par deux Allemands. Il vient d'être arrêté, probablement victime d'une dénonciation.
Lors de communications téléphoniques avec ses collègues, ce résistant usait d'un mot de passe "Kenavo" qui, détourné de son sens classique ne signifiait plus "Au revoir" mais : "N'exécute pas les ordres que je suis obligé de te donner"...
S'il s'était trouvé dans le bureau du capitaine de gendarmerie, il est probable que M. Pourrin aurait été arrêté lui aussi.

........En 1945, il succède à Mr. Boutreux et restera directeur des Récollets jusqu'à son départ à la retraite en 1960.
........Pendant sa carrière, il a quelques démêlés avec un inspecteur primaire qui n'apprécie pas du tout la liberté, la désinvolture de son subordonné et surtout son peu d'empressement servile à son égard.
Un jour, jugeant la coupe pleine, l'inspecteur réclame une inspection contre cet enseignant indocile.
Sans crier gare (à l'époque, les inspecteurs vous tombaient sur le poil sans prévenir !) l'inspecteur d'académie et l'inspecteur général débarquent aux Récollets. M. Pourrin fait une leçon sur la lumière mais, avant les expériences d'optique, il énumère les multiples applications de la lumière dans de nombreux domaines. Les inspecteurs qui, au passage, apprennent beaucoup de choses, sont enchantés du professeur, ce qu'ils confirment par une belle note de 19, au grand dépit de celui qui avait tant espéré le coincer, le faire prendre en défaut !

........Un autre coup d'éclat a lieu lorsque M. Pourrin, considérant que les élèves de 3ème avaient bien travaillé, les autorise à rester chez eux une semaine avant le brevet pour parfaire leurs révisions. Courroux de l'inspecteur primaire qui revient aux Récollets flanqué de ses deux supérieurs hiérarchiques susnommés ! Aucune sanction n'est prise contre l'enseignant. N'ayant pas réussi à mater le rebelle ni à le faire muter, écœuré, c'est lui qui quitte la circonscription l'année suivante.

........Malgré sa charge de directeur, M. Pourrin doit assurer 6 heures d'enseignement.

Un matin, alors qu'il est plongé dans une correspondance administrative, il voit arriver dans son bureau un prof. assez embarrassé : "Je ne voudrais pas jouer les mouchards mais il y a un collègue qui en prend un peu trop à son aise, à côté de ma classe ! Je ne peux pas travailler tellement il y a de chahut !". M. Pourrin le regarde avec ébahissement et, tout à coup, bondit de sa chaise. "Mais c'est ma classe ! J'ai complètement oublié que j'avais cours !"

........Dans l'un des bulletins de notre association, Micheline DACHEUX, notre secrétaire, raconte la perplexité dans laquelle la plongeait la vue de la caravane, aplatie, construite par M. Pourrin. Ne sachant pas que cette curieuse maison ambulante avait la faculté de se déployer pour doubler de hauteur, elle se demandait avec inquiétude comment pouvaient vivre les occupants - à quatre pattes assurément ! - dans un habitacle aussi bas de plafond...
........Elle ignorait aussi le goût de ladite caravane pour la liberté !
Un jour d'été, circulant à vitesse réduite dans les pittoresques gorges du Verdon, M..Pourrin laissa échapper un juron. Il venait d'être doublé par un mobile home portant une marque de fabrique qui lui rappelait quelque chose !
Il y eut plus de peur que de mal ! Hésitant entre le ravin, à droite, et la montagne, à gauche, sa chère caravane prit la sage résolution d'aller embrasser le rocher !

........Forcément, quand on a une longue vie, que l'on garde jusqu'au bout toutes ses facultés mentales et le goût de l'anecdote, on a beaucoup de choses à raconter, des catastrophes et des moment de bonheur, comme tout un chacun...
........Faisant le bilan de ses 98 années d'existence, il considérait que la vie l'avait gâté. Cette heureuse disposition de caractère l'aidait à supporter la solitude, la paralysie de ses jambes, l'infirmité de ses mains... Il offrait au visiteur un visage serein éclairé par l'intelligence du regard.

Le dévouement de Monique, devenue depuis longtemps la fille de la maison et l'aide de son mari lui avaient permis de rester chez lui, au milieu de ses souvenirs, mais un jour, son état de faiblesse rendit son hospitalisation inévitable.
Il survécut quelques temps, se fâchant quand on allait le voir à l'hôpital parce que, à son avis, il faisait bien trop chaud, en ce début de juin 2003 pour "rendre visite à un moribond".

Ceux qui l'on connu, estimé, ne seront pas surpris de cette réaction, symbole, jusqu'aux derniers instants, de sa bonhomie, sa lucidité et sa dignité.


Paule TROUBAT
Prof. aux Récollets 1963-1967
(Article paru dans le bulletin n°20 - Avril 2004)




Nostalgie
de Paule TROUBAT, professeur de Maths et de Sciences Naturelles de 1963 à 1966

 
Nostalgie



  
----------J'ai lu, dans le bulletin d’avril 1987, que l’on s’interrogeait sur la date de naissance du Cours Complémentaire des Récollets.

----------Cette phrase a réveillé en moi le souvenir nostalgique de sa disparition…


----------Vingt ans, déjà, que nous avons troqué le tuffeau, les tilleuls, la marquise, la compagnie du Jardin des Plantes et celle, fraternelle (et dominatrice !) du lycée d’Etat pour le bucolique Chemin Vert et son architecture au goût du jour.

----------Puisqu’il fallait bien se résigner à l’exil, nous abandonnâmes notre vieille école et, bottés jusqu’aux yeux – le nouveau quartier n’étant encore qu’un immense bourbier d’où, seul, émergeait le CES – nous partîmes vers notre nouveau destin.
 
----------C’est par un matin pluvieux (non, je n’en rajoute pas !) d’octobre 1966 que s’effectua le transfert. Déménagement à la cloche de bois ! Avec la pauvreté qui la caractérise, l’Education Nationale n’avait pas les moyens de nous offrir les services d’une entreprise spécialisée ; aussi, chaque professeur, aidé par ses élèves, transporta pédestrement jusqu’au nouvel établissement : archives, documents et autres matériels pédagogiques.

----------Etant à l’époque chargée du cours de « sciences nat. », j’accompagnais une trentaine d’enfants de 5ième auxquels était adjoint un citoyen de grande taille, celui qui permit (et permet toujours) à des générations d’élèves de dénombrer les os longs, plats, ronds etc… de notre anatomie. J’ai nommé ARTHUR, le squelette qui hante toutes les salles de biologie. Imaginez un peu la stupeur des commerçants et autres usagers de la rue du Pressoir à la vue de ce cortège funèbre !
 
----------Aux Récollets, l’enseignement des sciences était dispensé dans une salle du rez-de-chaussée dont la seule évocation provoque chez moi un afflux de souvenirs olfactifs : s’y mêlent des odeurs de naphtaline destinée à enrayer le processus – déjà bien entamé – de déplumage de quelques oiseaux naturalisés qui trônaient dans l’armoire vitrée et les effluves…douteux…des crevettes et autres crustacés, achetés frais à la poissonnerie de la rue du Pressoir mais rapidement détériorés par manque d’armoire frigorifique.

----------Un jour, il me parut absurde de laisser dépérir une marchandise aussi savoureuse. Et c’est ainsi que Monsieur l’Inspecteur nous surprit (maintenant sa visite est annoncée plusieurs semaines à l’avance) mes élèves et moi, dégustant la chair délicate de quelques oursins, la leçon d’observation terminée…

----------Si, d’aventure, les exigences de l’emploi du temps faisaient que deux professeurs dussent exercer simultanément leurs talents, alors l’un d’eux émigrait, avec élèves et matériel, dans un wagon qu’un aiguillage pour le moins fantaisiste avait fait échouer sur la Place des Récollets et qui achevait paisiblement ses jours reconverti en salle de classe. Malheureusement, l’étroitesse des fenêtres aggravée par l’ombrage généreux des arbres rendait bien téméraire toute tentative d’observation au microscope… Par ailleurs, à la fin de l’année scolaire, au moment de l’inventaire, « les boîtes de poids » outils indispensables aux leçons sur la balance (celle de Roberval, bien entendu) accusaient toutes une disparition des 2g et 1g qui n’avaient pu résister à ces va-et-vient continuels.
 
----------Aux mauvais jours, un imposant poêle en fonte nous dispensait, avec bonne volonté, une chaleur réconfortante. La conscience professionnelle, le plaisir avec lesquels l’élève, volontaire pour le remplissage du foyer, s’acquittait de sa tâche, m’ont toujours fait penser qu’il y avait là une vocation insoupçonnée de chauffeur de locomotive.

----------Un soir d’hiver, justement, alors que venait de commencer l’heure quotidienne d’études, le directeur (M. Appeau en l’occurrence) vint nous prévenir, preuve à l’appui, qu’un verglas subit et ô combien dangereux  recouvrait le sol et qu’il fallait, en toute hâte, regagner nos foyers. Preuve à l’appui, disais-je, car un pansement sur son nez témoignait qu’il avait déjà fait les frais de cette belle patinoire !

----------On le sait, le malheur tend à niveler les couches sociales, à escamoter la hiérarchie. La dignité, fut-ce celle d’un professeur, on s’assoit dessus…C’est bien le cas de le dire car, tous âges, tous grades confondus, nous descendîmes la rue Sévigné sur les fesses, notre seule préoccupation étant d’éviter les bris de membres…A l’exception toutefois du prof de Gym, Claude Valès,  qui dévala la rue pentue à bicyclette malgré les vaines exhortations de Serge Ganault : « Claude, tu as charge de famille, je t’en prie, sois prudent… »

----------Autre saison, autre décor : en été, tandis que les enfants s’égaillaient dans la cour, les professeurs recherchaient volontiers l’ombre des tilleuls, se racontant les dernières perles des chers petits, à moins qu’ils ne dévoilent leurs projets de vacances. Il n’était pas rare, alors, de voir l’un d’eux sursauter, faire un écart, scruter le ciel puis regarder avec consternation son vêtement sur lequel l’un des charmants locataires de l’arbre parasol venait de laisser tomber…une épinglette.

----------Bref, on l’aura compris, c’était le bon temps !
 
----------Certes, nous disposons, dans notre collège récemment baptisé « Pierre Mendès France », de classes claires, propres, spacieuses, bien équipées, bien adaptées à l’enseignement d’aujourd’hui. Aucun effort n’est épargné pour agrémenter les lieux de pelouses, de massifs de fleurs renouvelés au fil des saisons. Le rideau de peupliers, en bordure du Thouet, constitue un arrière-plan exceptionnel à notre cadre de vie et les prairies avoisinantes nous accueillent volontiers pour les pique-niques tant appréciés des élèves les derniers jours de juin.


----------Cependant, personne ne m’empêchera de penser que nous avons laissé une partie de notre âme aux Récollets. 

  

Paule TROUBAT

Prof aux Récollets 1963 – 1966

(Article paru dans le bulletin n°4 de 1998)



II


 

----------Retourner sur des lieux qui ont été chers, que l’on a explorés par le menu et dont on a gardé un souvenir inoubliable, c’est s’exposer à souffrir des transformations apportées par les ans à un cadre que l’on aurait voulu immuable.
----------C’est le pincement au cœur qu’ont dû éprouver les Anciens des Récollets venus revoir le site de leur enfance, le 22 Avril 2001, à l’occasion de l’Assemblée Générale de l’Association.
----------Après la réunion dans le hall de la nouvelle école et avant le déjeuner, une promenade pèlerinage conduisit les vieux enfants vers les anciens bâtiments aujourd’hui désaffectés.
 

----------La surprise était de taille ! En son temps, la chute du mur de Berlin ne les avait pas ébahis autant que le fit la disparition de celui des Récollets. On avait donc abattu ce sinistre mur de prison qui limitait la cour de récréation et, masquant les attraits du Jardin des Plantes, décourageait les désirs d’évasion des galopins.
----------Le mur enlevé, exit l’esthétique enfilade de cabinets à la Turque qui lui était adossée et dont les exhalaisons  de créosote parfumaient l’air, par les chaudes journées d’été…
----------Un coup d’œil au travers des baies vitrées provoqua la consternation : on avait osé jeter au rebut les vieux pupitres entaillés de coups de canif, lustrés par les manches des blouses grises, pupitres  sur lesquels des générations d’écoliers avaient posé leur ardoise et leur plumier en bois, les plus riches arborant avec fierté un plumier articulé à deux étages.
----------Plus de tableau noir accroché au mur ni de menaçante carte muette sur laquelle des doigts hésitants devaient montrer Nancy, Perpignan, Bourges ou Quimper, suivre le cours du Rhône ou énumérer les affluents de la Seine…
----------Aux oubliettes les planches Armand Colin grâce auxquelles la germination d’une graine de haricot ou la circulation du sang dans l’organisme humain ne présentaient plus de mystère.
----------D’anonymes radiateurs remplaçaient le bon gros poêle en fonte qui, pourtant, n’avait jamais démérité, même au cœur des hivers les plus rigoureux.
----------Depuis des décennies, il fallait courir les brocantes pour dénicher ces petits encriers en porcelaine blanche remplis au compte-gouttes d’une encre violette dont l’odeur est définitivement imprégnée dans la mémoire olfactive. Ah ! S’appliquer, en tirant la langue, à reproduire avec pleins et déliés, à la plume Sergent Major, la belle majuscule dessinée en rouge par l’instituteur ; doser la prise d’encre : trop et c’est le gros pâté infâmant ; trop peu, le trou dans le papier provoqué par la plume sèche…Les enfants d’aujourd’hui qui manient le stylo-bille en dépit du bon sens ne peuvent imaginer le pensum que représentait autrefois chaque page d’écriture.
----------Et que dire des règles de trois ; des robinets ;  des trois rangées de fil de fer maintenues par des piquets autour des champs ; des trains qui se croisent quand ils ne se poursuivent pas…bref, de tous ces problèmes inventés par des pédagogues sadiques exprès pour donner des cauchemars et des insomnies.
----------Enfin venait le jour où, ayant vaincu les pièges de la grammaire et de l’arithmétique, l’instituteur vous jugeait apte à passer les épreuves du sacro-saint Certificat d’Etudes Primaires, le viatique qui assurait un métier prometteur d’avenir.
----------Pendant quelques jours, aux yeux de sa famille et du voisinage, le « certifié » tirait gloire de sa réussite et, dans le meilleur des cas, recevait en récompense la belle montre ou le vélo tant convoités.
----------Ces souvenirs attendrissants affluent à la mémoire des Anciens regroupés sous la marquise qui, comme eux, porte les stigmates de l’âge…
----------Ils repartent lentement vers la nouvelle école construite en partie sur le jardin où Monsieur Pourrin initiait parfois les plus grands à la greffe des sauvageons.
----------Elle est accueillante, la nouvelle école et ses locaux, sa décoration laissent deviner qu’on n’y pratique plus la pédagogie solennelle d’autrefois.
----------Les instituteurs d’aujourd’hui, si facilement vilipendés, sont priés par la hiérarchie d’innover, d’éveiller la curiosité, de varier les méthodes, de se remettre sans cesse en question, de participer à un projet collectif, de rendre leur pédagogie ludique, d’ouvrir l’école au monde extérieur…etc…etc…etc…car il n’est plus de mise, bras croisés sur le pupitre, d’écouter sans broncher la parole forcément infaillible du maître vénéré.
----------Le journal scolaire publié par l’école des Récollets, composé par les élèves et les enseignants, illustré par les enfants, témoigne de la diversité  de cette pédagogie active : visite des CE1 à la magnanerie du Coudray-Macouard ; préparation de la classe de montagne dans le Cantal ; premières leçons d’anglais, d’allemand et d’espagnol ; découverte de la bibliothèque municipale ; activités sportives, littéraires et musicales ; point de vue des écoliers sur la cantine ; labo photos ; salle de documentation.

 
----------Tout a changé, mais gageons que les nouvelles générations, elles aussi, garderont un souvenir ému de leurs années heureuses à :

 
 L’ECOLE DES RECOLLETS


  

Paule TROUBAT
Prof aux Récollets de 1963 à 1966.

(Article paru dans le bulletin n°18 de 2002, suite à la tenue de l'A.G 2001 dans la nouvelle école primaire des Récollets)



Sur le chemin de l'école

SUR LE CHEMIN DE L’ECOLE
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-------Un temps plus ou moins important est nécessaire pour parcourir la distance séparant un collège du domicile. Il a été réduit avec la création des nombreux collèges. Mais, auparavant, le Cours complémentaire était le seul établissement  de ce type à la ronde, et le choix étant effectué, il fallait bien s’y rendre.
Saumuroise, ma famille logeait Rue Nouvelle, à la Croix Verte. Le chemin des Récollets était long. Il empruntait les Ponts et la ville commerçante et vivante, illuminée les soirs d’automne et d’hiver.
La maison Brunet venait de créer un service de transport scolaire avec sa « navette ». Mais des gars de mon quartier n’entendaient pas l’utiliser souvent, pour deux raisons :
On voulait économiser un ticket (de notre propre volonté, pas de celle de nos parents).
On était bien mieux entre nous, plutôt qu’au milieu des filles toutes de bleu-marine vêtues qui descendaient à la Poste, pour l’Institution Saint André.
Donc, compte tenu de l’éloignement, des chemins détournés parcourus sans hâte, des haltes pour évènements divers, de deux aller et retour journaliers (quand on n’était pas demi-pensionnaire au lycée), cela  représentait chaque semaine quelques heures, et, en fin de scolarité, des jours et des jours !
Mais en réalité, rien de perdu. Quelle école ! Que d’événements vécus par tous les temps ! Que d’observations ! Que d’anecdotes !
Mon Saumur de l’époque, celui que je connaissais parfaitement et que j’aimais (en plus du Petit Puy, Beaulieu et Saint Vincent), commençait Route de Rouen et finissait Place Maupassant. De là, un périmètre remontait jusqu’au Clos Coutard, Château, redescendait la côte et la Grand’ Rue, rue de la Tonnelle et aboutissait au quai, face au Théâtre. J’ai toujours fait remarquer que sur la façade de celui-ci était gravé le nom de BOIELDIEU, dont certaines œuvres, très agréables, mériteraient amplement d’être reprises de nos jours, en plus du concerto pour harpe et orchestre !

Dans cet espace, on se sentait chez nous ; pas de voie piétonne encore, mais il suffisait que le groupe marche au milieu de la chaussée pour que les voitures gueulant du klaxon, ralentissent leur vitesse : opération réussie !
Mes compagnons de trajet seront surtout J.C. Massué, un voisin, et aussi Réthoré. Et le soir, après l’étude surveillée, à dix-neuf heures, Carassou un peu et Boutin quand on allait jusqu’à la Rue de la Tonnelle.
Je vais tracer à la queue leu leu quelques souvenirs de ces « cheminades » heureuses accompagnées de réflexions. Certaines ont constitué le corps, à l’époque, de rédactions, avec plus ou moins de réussite car orthographe et grammaire comptaient lourd dans la note. Je confesse que j’en ai pudiquement tus (bien qu’il y ait prescription). Enfin je précise que le groupe pensait prioritairement à son travail scolaire. Il a produit un normalien supérieur, un technicien de l’aviation, trois certifiés ou agrégés de l’enseignement.

LES SORTIES DES RÉCOLLETS
Visions, bruits et odeurs
(à jamais inscrits dans ma tête)

Pas de problème de sécurité ; cela nous échappe : on est les rois du macadam.
Un soir, M. Pourrin, costume-cravate et le feutre à la main, court en appelant après la voiture de sa femme qui a oublié de mettre de l’essence dans le réservoir !
Une classe préfabriquée toute neuve est installée sur la Place. On la veut pour nous, mais hélas… On est jaloux.
Des règlements de comptes ; c’est rare. J’en suis victime une fois, après la chorale. L’auteur, un grand, est exclu trois jours.
« Ecartons-nous ! ». Le bruit poussif du Solex de « Bidou » Murzeau retentit. Il a de la chance, Bidou, d’avoir un vélomoteur !
Un matin, une belle D.S. claire stationne face au portail du C.C. « Le dirlo a changé de voiture ! » Elle est belle à faire rêver. « Ça gagne bien un dirlo ! »
Un jour, vers 13 h 30, sur la Place, nous croisons une petite couleuvre effrayée. Peu de monde encore à la ronde. Notre intérêt est aussitôt alerté par le reptile et, bien sûr – comment réagissait-on à l’époque ? – on le tue ! Je m’en charge, d’un coup de talon sur la tête. Fin de l’histoire ? Non, car il reste du temps avant 14 heures. On introduit, croit-on discrètement, le trophée dans le C.C. et dans un coin on le dépouille prestement. Je place alors la peau à cheval sur le rebord de la poche de poitrine de ma blouse grise. Dès cet instant, j’acquière le puissant pouvoir de faire peur aux filles de la classe, toutes informées, et j’en joue sadiquement, entraînant surtout les cris et pleurs d’une gentille camarade d’origine corse (dont j’ai oublié le nom). Peut-être porte-t-elle aujourd’hui très élégamment, car elle était très jolie, des chaussures de peau de serpent ! Nous ne voyons pas que M. Appeau, sans doute étonné de voir un groupe arriver si tôt, observe de loin les travaux anatomiques et son intervention, suffisamment rapide, en plus d’une punition, nous remet les pieds sur terre et calme instantanément l’excitation de la classe.
Après l’étude, M. Appeau descend à pied en ville avec nous. Il est très souvent en conversation avec les grands : Francis Jang ; Gérard Boeldieu…Un jour, après maintes tentatives, j’accroche une question : «L’Olympique (dont il est dirigeant) peut-il gagner dimanche ? »  «On ne pose pas forcément une question intellectuelle du premier coup, la preuve ! »
Rue du Portail Louis, halte favorite : la vitrine de la librairie Mimault. Un livre est resté longtemps exposé : « Le mystère de la chambre jaune », avec Rouletabille. On l’achètera plus tard. Un jour, une pancarte : « Monsieur Chaudeurge (proviseur du lycée à l’époque) dédicacera son livre : Au cri de la chouette ». On se regarde. « Mais les écrivains sont des gens morts ! » On pense, puisque celui-ci est vivant, que son livre ne doit pas être fameux.
Le carrefour du Crédit de l’Ouest  : On observe l’installation des premiers feux tricolores. « Enfin, Saumur est une grande ville ! »
« Attention ! Voilà M. Mercier. On a intérêt à lui dire bonjour ! La semaine dernière il a collé des élèves, rencontrés un jeudi, qui ne l’avaient pas salué ! »
« Les Nouvelles Galeries » est notre magasin préféré, surtout aux fêtes : vitrines animées et colorées, et, quelquefois exposition d’avions,  de modèles réduits réalisés par des copains dont Rouleau et Champion, des « Aiglons Saumurois » de Terrefort. Il paraît que le directeur a promis d’offrir une coupe, en remerciement, pour doter le concours de durée de vol, en mai, au responsable du club : M. Vincent.
Le théâtre, les grandes affiches. On sait qu’on n’assistera pas aux spectacles, sauf aux concerts J. M. F. (où les bavards conférenciers gâchent tout le plaisir de la musique), et aux pièces classiques réservées  aux scolaires. On n’approuve pas du tout ceux qui bombardent de boulettes les acteurs. La prochaine fois que sera joué « Le Cid » (on l’a déjà vu deux fois !) on emportera le petit classique Larousse afin de vérifier si nos héros récitent tout le texte et rien que le texte. La confiance règne !
On assiste, bouche bée, à deux conférences : l’une de Paul–Emile VICTOR, l’autre de Lionel TERRAY (qui m’a le plus impressionné en gravissant d’une enjambée la scène. Quel compas !) Mais malheureusement, timides encore, on ne pose pas de questions.
Le Pont Cessart, le vent – le large si nous fermons les yeux – On aime bien stationner sur une pile, face à l’amont. Il suffit, accoudé au parapet, de réduire son champ visuel avec ses mains : on surplombe alors la proue d’un paquebot, quand la Loire est en crue, ou d’un brise-glace lorsqu’elle charrie des glaçons. Un soir de Juin, à morte eau, vision cruelle : le corps d’un homme échoué entre deux bancs de sable, juste en dessous. Le spectacle de la mort pour la première fois. Nous ne traînons pas alors pour rentrer et, pendant plusieurs jours nous discutons comme jamais des saloperies de culs de grève.
Au–dessus de nous, en face, le château. On l’aime et on a besoin de cette vue magnifique. On l’a contemplé des heures…tout en jetant des pierres dans le fleuve.
Le Pont des Cadets : un soir d’hiver, une pluie verglaçante  s’abat sur la ville. Les rues sont transformées en patinoire. Certains automobilistes veulent rouler coûte que coûte alors que nous glissons à merveille sur les trottoirs désertés. Et le ballet des têtus à quatre roues conduit à une véritable série de collisions heureusement peu sévères. « Pourvu qu’on n’y rencontre pas la voiture de nos pères ! » Comme ce n’est pas le cas, le spectacle finit par nous amuser ; nous comptons  les « bing ! » du moment que c’est l’enfer chez les autres ! On est cruels et égoïstes.
A la Croix Verte, le Pont du chemin de fer. Au départ d’une locomotive vers Tours, nous nous précipitons et l’attendons appuyés à la barrière, à la verticale de la voie. Il faut sans crier et sans bouger, rester sur place pendant le passage du monstre crachant en force fumée noire, vapeur et escarbilles, qui nous enveloppent un instant.
Place Maupassant : on ne passe pas souvent par là mais je me souviens bien de deux faits :
Le film de Vadim « Et Dieu créa la femme », avec la sublime B.B. joué au cinéma Anjou. L’affiche nous attire énormément et je passe sur les réflexions !
 Le café d’Orléans : on dit qu’on y vend de la bière brune. On essaie de voir ce que ça peut bien être en lorgnant à travers la porte d’entrée du bar.
La Grand'Rue : La rue de Carassou qui nous quitte très tôt puisqu’il habite dans le haut. On poursuit avec Boutin jusqu’à la Place St Pierre. On aime bien la résonance de la rue mais pas toujours les odeurs !
Place St Pierre : à l’angle de la rue de la Tonnelle, la maison Partant, notre fournisseur en pétards, poil à gratter, boules puantes, fluide glacial (je censure l’usage des trois derniers produits…afin de ne pas être trop long… !). Les pétards sont utilisés de suite dans la rue de la Tonnelle forte en écho (pétards rouges à mèche, à 0, 01 F). Il faut allumer les mèches et jeter nos projectiles en même temps et quel effet ! Tous les commerçants apparaissent sur les pas de portes et le groupe passe comme si de rien n’était.  On a toujours réussi notre coup !
Devant le théâtre : le quai. Le paradis des pêcheurs ; nous passons des heures à les contempler, mais jamais, pêcheurs nous-mêmes, nous allons nous installer là. Nous n’aimons pas être observés, nous !
Récollets–Croix Verte (ou retour) en direct, à la période d’entraînement du cross–country USEP, deux solutions et quel gain de temps !
........* A l’aller,   confier   son   cartable   à   un  camarade qui emprunte la  « navette » de
........ramassage scolaire et essayer d’arriver  sur  la  Place de   la gendarmerie  (le terminus)
........avant le car (c’est facile quand on est entraîné)
........*Au retour, déposer son sac sur le porte-bagages  d’un   copain cycliste et courir à côté
........de lui !


........Je termine là mes balivernes. Je suis actuellement à la mi-temps d’une hospitalisation
à Angers, après une opération cardiaque. Les heures passées à rédiger, corriger, recopier m’ont semblé très agréables et une bonne thérapeutique.

........J’ai, étant enfant, toujours eu un faible pour les récits des gosses de la rue.

Claude BOELDIEU
Les Récollets 1956 – 1960
 

 J’ai ressenti une admiration identique envers Haroun TAZZIEFF en octobre 1987, à Moscou. Nous attendions d’être reçus ensemble par Mikhaïl GORBATCHEV, dans la salle Sverdlov du Kremlin. Là, je n’ai pas été timide ! et les quelques journées que nous avons vécues ensemble resteront à jamais inoubliables pour moi.





Un homme se penche sur son passé

    Je me souviens de ma première soirée au dortoir en septembre 1936.
Les nouveaux entouraient Delaporte qui allait entrer à l’école normale l’année suivante. Le grand « Popote » nous initiait à ce que serait la vie scolaire qui allait débuter aux Récollets le lendemain. Il avait parlé du chahut durant les cours d’un professeur. C’était la première fois que j’entendais ce mot et j’avais des difficultés à comprendre sa signification. Delaporte ne nous poussait pas à perpétuer cette pratique. Il nous disait simplement que si ce professeur nous infligeait un avertissement, on pouvait faire appel à sa mansuétude pour le faire enlever.
    Il ne me fallut pas attendre longtemps pour découvrir la réalité de ces chahuts dans lesquels les externes prenaient une part des plus actives. En cours préparatoire il n’y eut pas beaucoup de leçons perturbées mais en première année, ce fut différent. La vedette était Hans. Nous nous amusions beaucoup de ses numéros de duettiste avec l’enseignant. Prié de sortir de la classe Hans refusa de bouger. Le professeur tenta de l’expulser de force mais l’agitateur se cramponnait à son pupitre et les deux gladiateurs se retrouvèrent allongés sur le sol.
    Un peu plus tard l’enseignant, excédé, alla voir le père de Hans lequel exigea sur le champ des excuses qui humilièrent beaucoup le coupable. Ce dernier nous raconta qu’il avait dit : « Je VOUS excuse » pour ne pas perdre la face.
    Puis vint un complot longuement préparé et mis à exécution durant l’étude qui suivait les cours avant le dîner. Deux salles étaient utilisées ce soir-là de janvier, l’une surveillée par Mr. Pourrin, l’autre par notre professeur préféré (il était excellent et je me demande pourquoi nous le chahutions) qui fut agréablement surpris de recevoir la visite de Ménard – un ancien qui avait cessé sa scolarité pour aller travailler au magasin de vélos de son père – venu lui présenter ses vœux de nouvel an. Quelques minutes plus tard, la lumière s’éteignit et des timbales, remplies d’eau, projetèrent leur contenu. Mr Pourrin alla vérifier les fusibles et les trouva intacts. La panne se prolongeant, Mr Pourrin retourna vérifier le compteur et constata que la manette du commutateur (il n’y avait pas de disjoncteur à l’époque) avait été abaissée. 
    Personnellement je n’avais pris part à aucune action hormis placer dans le poêle des tubes métalliques de protège crayons bourrés de fulmi-coton qui produisaient de bruyantes explosions incompréhensibles (sauf pour nous).
    Puis me vint le goût des sabotages. Dans la salle d’études de l’internat au collège, je plaçai un jour du papier d’aluminium entre les baïonnettes des douilles électriques et leurs ampoules. L’effet fut radical quand le surveillant voulut allumer la lumière.
  En seconde année de cours complémentaire je fus reconnu par mes condisciples comme un cerveau des sabotages et chargé de la partie technique du grand chahut projeté pour le dernier soir au dortoir avant les vacances d’août 1939.
   J’avais demandé aux externes de me trouver des scies pour ampoules de médicaments qui me permirent de pratiquer une petite ouverture invisible au ras du culot de chaque ampoule.
 
    Quand la nuit fut venue,  que le pion fut couché dans son enclos fermé par des rideaux, sa bouteille sous son lit pour la soif nocturne à venir bien qu’il eût visiblement copieusement bu, les opérations se déroulèrent ainsi :
Substitution de la bouteille,
Hurlements encourageant le pion à se lever,
Allumage des lampes par le pion,
Fonctionnement des lampes comme des flashes de photographe puis extinction,
Jet de « Bombes algériennes » sur les baguettes recouvrant les fils électriques,
Ordre de sauve qui peut du pion criant « Vite ! Tout va exploser ! »
Appels du pion par la fenêtre aux autres dortoirs car nous étions enfermés « à clé » et il n’essaya pas de briser la vitre du panneau de secours pour ouvrir la porte.
Arrivée du pion d’un autre dortoir qui prit la place de « Lapin » (en réalité son nom était Lièvre) et fin du chahut.
   
   Le lendemain fut moins gai. Le surveillant général Royan qui n’était pas un tendre (pur euphémisme), nous interdit l’entrée au réfectoire et nous fit aligner le nez au mur en plein soleil. Nous pensions que nous serions privés de repas. Il distribua quelques coups de pied (de quel droit ?) aux plus âgés et quand les internes des autres dortoirs quittèrent le réfectoire il nous ordonna d’entrer et nous accorda dix minutes pour  déjeuner. En fin d’après-midi, nous quittâmes l’internat pour partir en vacances.

   Puis, le 3 septembre, survint la déclaration de guerre mais ceci est une autre histoire et l’année scolaire 39-40 se termina en juin dans des conditions difficiles.
    Les Saumurois savent ce que fut la situation à partir du 17 juin mais je n’étais pas présent lors de ces combats. Je n’en vis que les conséquences : les ponts, les habitations en ruine et même un obus cassé en deux parties qui avait percé la toiture  du vestiaire des Récollets et était resté sur le sol.
Je connus de plus près ce genre d’événements le 23 septembre 1943 à Nantes, jour de la fin du concours d’admission à l’Ecole nationale de la Marine marchande qui fut marqué par un bombardement aérien à 10 heures et un autre à 18 heures. Au cours de ce dernier, je crus ma dernière heure arrivée car une bombe atteignit l’entrée de la cave dans laquelle je venais de me réfugier, rue du calvaire : déflagration, éblouissement, souffle violent puis le noir. Il me fallut longtemps pour reprendre mes esprits et trouver une issue quasi minuscule (qui se révéla seulement quand l’obscurité se dissipa) pour m’extraire de la cave dans laquelle je craignais de demeurer prisonnier pendant des jours …ou éternellement.
Après être sorti à l’air libre, m’orientant difficilement parmi les ruines, j’allais récupérer ma valise à l’hôtel où je logeais depuis le 18 septembre. Les propriétaires me supplièrent de ne pas entrer : derrière la façade ne restaient que des planchers et des escaliers montant dans le vide. Les murs de l’arrière et les cloisons avaient disparu. Dans la rue, des gens jetaient par les fenêtres des meubles provenant des maisons en feu, sans doute pour récupérer le contenu de ce mobilier faute de pouvoir le vider assez vite.


   Je ne revis qu’en août 1944 notre professeur des Récollets, sur une petite route de campagne. Nous étions l’un et l’autre à bicyclette et nous eûmes une longue conversation. Je mourais d’envie de lui exprimer mes regrets de l’avoir un peu chahuté mais je jugeais que le moment n’était pas propice. J’aurais aimé lui dire que, par goût des farces, nous avions abusé de sa bonté. Certes, avec un autre maître autoritaire nous nous serions tenus cois mais comme nous aurions été tristes pendant ces longues heures de cours insipides !

  Je termine ce récit par une anecdote que l’on peut classer dans la catégorie chahut quoique… Je crois que c’était en 1938, le matin du départ en vacances de Pâques. Mr Bricard, qui était chargé du cours d’histoire, commença par ces mots ; « Ce matin je n’interrogerai pas les internes car ils n’ont pas pu travailler beaucoup hier soir. Y a-t-il des externes volontaires pour être interrogés ? »
On entendit alors : « Moi Monsieur ».
C’était Rouché. Mr Bricard répondit : « Bon, je pourrai te donner une bonne note alors ! Tu en as bien besoin ! »
Rouché vint près du bureau, se balança d’un pied sur l’autre et demeura muet.
Mr Bricard : « Je t’écoute ».
Rouché : « Je ne sais rien, je n’ai rien préparé... »


Abel MAILET
Aux Récollets de 1936 à 1940



Récollets, années 20

Les plus jeunes de nos "Anciens" imaginent certainement mal ce qu'était l'école voici tant d'années. Est-ce possible, et utile, de réveiller des souvenirs, forcément déformés, datant de soixante ans et plus ?
En ce temps-là, "on montait" aux Récollets, venant de Nantilly, de la "ville" par la place de la Gendarmerie, ou du populaire quartier Saint-Pierre par la "Grand'Rue" (celle de Balzac et d'Eugènie Grandet, on en était sûr) par des rues aux pavés inégaux, durs, disjoints, bordés ou non de trottoirs sablonneux (on en bituma deux ou trois), dont les plus beaux longeaient le "Collège" (pas le Lycée), temple de la bourgeoisie masculine (aucun mélange des sexes, nulle part). Point de trottoir dans l'antique "Grand'Rue", mais deux caniveaux au débit lent, chargés de détritus de toute nature, même la pire, en une zone ou le "tout-à-l'égout" demeura longtemps inconnu. Cordonniers, bourreliers, menuisiers, serruriers, bouchers et même épiciers étalaient leurs marchandises ou travaillaient au vu de chacun, qui pouvait venir jacasser ou criailler au passage. Le bruit de nos galoches aux semelles de bois ou de gros cuir solidement clouté, ferrées du bout et même de l'arrière, n'était troublé que par le rare tintamarre d'une lourde "charte" ou d'une plus légère charrette qui venait livrer des barriques ou des planches. Le matin passaient les "boueux" qui ramassaient dans d'énormes et odorants chariots tous les sous-produits des ménages et des métiers, regroupés dans des seaux percés ou de vieilles caisses demi-disjointes bousculées au passage. La dernière montée, fort rude aboutissait à une place mi-sable mi-herbe, qui desservait à la fois l'Ecole et le Jardin des Plantes.

La classe commençait à 8 heures, se terminait à 11, reprenait à une heure pour finir à quatre. Suivait une heure "d'étude surveillée", facultative dans les petites classes, obligatoire au Cours Complémentaire (où une seconde suivait sous la houlette de M. Noyer ou de M. Faucher son collaborateur "scientifique"). L'heure solaire l'emportait, la où personne n'avait de montre (sauf aux jours de fête), où l'on regardait l'heure au soleil (un beau geste) on la devinait au quart d'heure près, ou moins (que faire des précisions de minute, car qui prenait le train ?).

Il y avait six classes (peut-être 7 avec l'amorce du Cours Complémentaire), les deux cours (la "grande" et la "petite") étaient semées de graviers (de Loire ?) bien durs aux genoux nus, et plantées de gros tilleuls aux troncs boursouflés. Un quart d'heure de "récré" main et soir, avec des jeux (les barres, le drapeau, la marelle un moment, les billes souvent, la pelote contre le mur du "préau" pour les plus grands) et de rares bagarres, les "maîtres" surveillants intervenant vite d'un sec coup de sifflet, et n'hésitant pas à séparer les batailleurs par de solides taloches, qui paraissaient normales à tout le monde, parents compris. On entrait en classe "en rang par deux", au sifflet, après la visite des mains... et des cheveux !
En classe, bras croisés pour écouter "la leçon", dans un silence le plus souvent parfait (sauf chez un ou deux maîtres plus coulants, un charmant artiste barbu notamment), et mis à part d'incorrigibles bavards et râleurs, dont j'étais. Séances interminables de lecture à haute voix, "avec le ton" si possible ; les deux problèmes du matin, suivis de quelques autres pour les trop rapides ; "composition française" deux fois la semaine, dictée quotidienne, leçons strictes d'histoire-Lavisse (qui nous a tous marqués), de géographie avec cartes précises, à reproduire, parfois à rêver (ah ! le Popocatepetl, le Kilimandjaro, le Triafajavona, le Fujiyama et le canal de Pangalanes et la Betsiboka, (comment croire que je puisse les voir ?) ; et puis la "science" qui m'ennuyait autant que le dessin et l'écriture, où j'étais inapte.

Combien de nos petits-enfants concevraient et supporteraient un tel enseignement, une telle discipline ? Il était certes de son temps, mais formait des garçons pourvus de bases fort solides, parfois un peu simples, mais que leur demandait-on de plus, puisque presque tous étaient destinés, le "certif" et la douzième année passés, à entrer en apprentissage dans quelque métier manuel ou à gratter du papier (il fallait une "belle main d'écriture") dans tel bureau ou telle banque. Pour former les élites, il y avait le collège, et les écoles "libres", qui ne dédaignaient pas l'uniforme, et enseignaient le sacro-saint latin (qui jouait le rôle actuel des maths), et ailleurs l'enseignement religieux. Cet enseignement religieux pour lequel l'école publique réservait le jeudi et acceptait les "retraites" d'avant les communions, fêtes familiales couramment célébrées... De solides bagarres s'engageaient parfois cependant, le soir après la classe ou l'étude, avec ceux de l'école libre de Nantilly; on y défendait aucun principe, mais on pratiquait l'un des sports favoris (avec le "foot" qui "montait") des jeunes garçons.

Des silhouettes de "maîtres" et de "sous-maîtres" revivent sûrement dans nos vieilles mémoires. Ainsi, on peut revoir "Dupé" - M. Duperray - le premier directeur connu, avec son canotier, sa moustache en brosse, son impeccable costume sombre, sa voix de commandement et son vigoureux coup de sifflet, qui devait immobiliser chaque gamin. Lui succéda M. Noyer, dit "le Patron" : la même autorité, plus d'élégance, un sourire et un regard pénétrant qu'on ne peut oublier, une bibliothèque presque inépuisable, une incroyable culture... et ses sportives descentes des Récollets vers la ville, sur son clinquant vélo à pneus dits "ballon", ou dans la fringante Rosengart qui chassait les cailloux dans chaque virage. Il y eut aussi un certain M. Proust, petit, brun, sec, moustachu élégamment, et doté d'une jambe artificielle - tous avaient fait la guerre, beaucoup en portaient les traces, peu en parlaient - une jambe artificielle qui atteignait parfois des postérieurs de paresseux, voués en outre à aller s'aligner le long de la fameuse "marquise" jusqu'à leçon sue et récitée... Et qui se souvient du "Père Robert" avec sa barbe, son embonpoint, les fines aquarelles dont il ornait les murs, l'instrument de cuivre qu'il apportait parfois, son art de la lecture (ah! les lettres de Mon Moulin à dix ans), ses légères somnolences et sa tolérance aux murmures et aux rires. Et Périer - la classe du "certif" - qui avait à cœur de voir au moins 38 de ses quarante galopins reçus à l'examen, et raflant toutes les mentions Très Bien...

Et, après s'être rangés auprès du portail, on redescendait, en rang par deux toujours, vers les trois directions rituelles, la serviette bien chargée, frappant fortement le pavé de nos galoches cloutées, dignes du nom de "sabotins" dont nous gratifiaient quelque commères de la Grand'Rue, sous leurs bonnets ronds et tuyautés, encore très fréquents.


 
Et cela durait jusqu'au 31 juillet, à peine troublé par le Carrousel ou "les courses" (de chevaux), avant que ne s'écoulent et ne s'étirent les deux mois d'été, où chacun collaborait aux travaux ménagers ou horticoles (ah! l'éboutage des haricots !), tâchait de trouver des livres ( la bibliothèque municipale, fort riche, fermait hélas un mois), on organisait quelques excursions en vélo, avec une coinchée ou une belote à l'étape, devant une canette de bière... pour quatre. Presque personne ne "partait en vacances", sinon chez quelque aïeul (rare alors) ou quelque tante, où pouvait se trouver des cousins et des cousines, malheureusement bien trop absorbés par les tâches estivales de ces paysans aussi fins que rudes, mais qui se mirent bientôt à considérer mes mains trop blanches comme "des mains de fainéant", puisque, après longues discussions, mes parents avaient accepté que "je continue aux écoles".

Souvenirs sans doute adoucis par l'âge - il en est de plus rudes -, mais qui ne visent qu'à apporter un témoignage, qui peut surprendre les uns et les autres, comme ils ont parfois stupéfié mes petits-enfants, à demi incrédules.

Pierre GOUBERT
les Récollets 1921-1931

(Article paru dans le bulletin n°6 - avril 1990)



    LES CONQUISTADORES

                                     de Gérard BRECQ, élève aux Récollets de 1941 à 1945


LES CONQUISTADORES  

« Ils allaient conquérir ce fabuleux métal »…
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Ah ! C’était l’évasion pendant ces années de guerre. Monsieur BOUTREUX, notre bon maître, s’évertuait à appuyer sur certaines syllabes, l’index dressé. Nous devions, grâce à ses soins attentifs, découvrir les chefs-d’œuvre de l’Anthologie poétique. Il possédait l’art d’éveiller les somnolences chez les adolescents sous-alimentés. Nous avions quinze ans alors…
Toutes les espiègleries étaient notre exutoire…A cet âge, on survivait au rationnement et, à défaut de ce « fabuleux métal » qui nous emportait vers « Cipango et ses mines lointaines », plus prosaïque, un petit démon taquinait nos jeunesses.

Le lycée de jeunes filles était si proche des Récollets… Elles passaient, en petits groupes, dans la rue. Un léger bonjour de la main. Le rêve était là. Sous-jacente, l’âme des conquistadores frémissait en nous. Ce n’était pas de l’érotisme mais ces petits seins qui commençaient à poindre, tels des bourgeons sur des fleurs, ces hanches qui dodelinaient  agaçaient ces puceaux appelés à des voyages mirifiques.

L’occasion s’offrit par un « F.C. ». Il existe un langage tacite contre tous les oppresseurs. En prison, les voisins de cellules tapent en morse sur les tuyaux d’eau pour communiquer. Le F.C. – qui signifiait « Faites circuler » - était un libellé sur un petit morceau de papier. A l’inattention du maître, il glissait de mains en mains, parfois coincé entre le genou et le pupitre. La surdité de M. Boutreux nous permettait, en bloquant les deux mâchoires dans un sourire de mauvais aloi, d’insister sur F.C. en prolongeant la dernière lettre d’un léger sifflement jusqu’au dernier souffle. Ce bref message nous conviait, en soirée, après l’étude, à rendre visite aux demoiselles de l’internat.
Félicité suprême ! Nous étions attendus. Lesquels avaient été remarqués ? Chasseurs, nous allions capter nos biches. Certaines seraient peut-être farouches. L’ombre du parc était si proche. Elles y viendraient peut-être…Alors, il ne faut jurer de rien, nous étions prêts à les soumettre à notre virile puissance.

Ce soir d’octobre ou de novembre, la nuit était tombée tôt, plus noire que jamais, froide et sans aucun nuage. Pas question d’escalader les hautes grilles pointues. Le plan d’attaque mis au point par certains stratèges prévoyait de passer par le Jardin des Plantes, de gravir le mur mitoyen. Pas facile pour les plus petits, hissés par les plus grands. Pas d’éclairage, quelques furtives allumettes. Les branches craquaient sous nos pieds. Expédition nocturne, où, là-haut, sur le faîte de la colline, scintillaient faiblement les vitres bleues de nos lycéennes. Parmi les bosquets, certains chutaient, blaguaient à voix basse. Ces conquistadores allaient découvrir du fond de cet océan des étoiles nouvelles. Le sort en était jeté : l’aventure était là.
Nous étions une douzaine de trublions, dégingandés de l’aventure, certains portant encore des culottes courtes. Visages poupins ou chevaliers boutonneux prêts à toutes les escapades. Avec ce mur qui nous avait raboté les fesses nous désirions passer – non de vie à trépas – mais du marasme de l’enfance à la félicité des adultes. Ce mur, c’était l’au-delà. Nous l’avions ausculté, senti ses failles où nous agripper la nuit venue. Il ouvrait ses portes sur la sublimation du rêve, sur un dessein si prometteur…
Griffés par les boqueteaux, lacérés par les épines, heurtés par les socles stupides des statues, nous avancions. Pas de victoire sans  embûches. Un escalier monumental s’offrit à nous. A tâtons, nous gravissions les marches sans fin d’un temple. Là-haut était l’offertoire. Tels les Incas au long d’interminables gradations montaient vers le but suprême, tels les suivaient les pas avides des conquistadores éberlués. Qu’allait-il advenir ? L’amour a ses phantasmes que la raison ne connaît pas. Nos premières étreintes étaient là, à quelques pas de nous. Mais que d’obscurité pour atteindre ces douces lueurs d’espérance !

Soudain, une lampe électrique balaya la plate-forme où nous arrivions le cœur battant. Les signaux convenus, codés, nous impliquaient. Nos jouvencelles étaient au rendez-vous. Du premier étage, parmi des gloussements, des rires feutrés, des caquetages de jeunes poulettes, elles nous répondaient. Dire que l’on ne comprenait pas la manœuvre à opérer ce serait expliquer le miracle de l’amour. Dans la nuit, à une dizaine de mètres, les deux groupes s’interrogeaient. Les plus vaillants voulaient monter déjà vers les dortoirs. Dénégations. Ces demoiselles craignaient le retour de la pionne, qui, normalement, devait s’absenter. Un retour était peut-être possible. Il fallait attendre. On s’agaçait dans les rangs. Les impulsifs furent retenus. Don Juan, sous les balcons de Séville, était un fin calculateur. L’attaque devait s’effectuer en rangs serrés, comme Cortès ou Pizzare, avec la certitude de la victoire.
Tout ce va-et-vient, là-haut, nous était incompréhensible. Lueurs furtives, bras levés, appels, clignotements de lampes, rires étouffés. Une sorte d’hystérie collective les agitait. Dressés au long de nos buissons, nous en étions presque fiers, comme des coqs inspectant leur basse-cour. Jamais nous n’avions suscité un tel émoi. Pendant un quart d’heure d’atermoiements, de messages adressés du bout des lèvres avec la main en porte-voix, nous sûmes les désarrois occasionnés par nos impétueuses présences.

« Encore cinq minutes ! Attendez ! Elle est partie ! »

Ces bribes nous parvenaient, presque inaudibles. Notre excitation grandissait. Bientôt, le grand chambardement. Cette mystérieuse pionne, décidément, n’était là que pour contrarier nos plans. Elle allait partir. Les filles seraient libres. Les béguins, les œillades de la rue, les petits saluts complices allaient connaître un dénouement merveilleux.
Elles se penchaient aux fenêtres. Le ton était déjà confidentiel : « Approchez ! On a les trousseaux de clés ! »
Ebahis, confiants, dans un état d’hébétude inexplicable les douze benêts firent quelques pas.
« Approchez ! Approchez ! On va vous indiquer le chemin ! »
La lampe électrique balayait largement nos faces alléchées. On n’y voyait goutte.  La lumière crue nous aveuglait. Les poètes ont évoqué le ravissement des muses de Sicile, l’ardeur de Philémon pour Baucis…

Brusquement, quelques seaux d’eau, adroitement jetés, nous inondèrent – non de joie -  mais de leur réalité glaciale. Transis, nous détalâmes prestement. Nos idoles, là-haut, gloussaient éperdument tandis que nous levions des poings vengeurs dans la nuit.

Les conquistadores s’en revenaient d’un nouveau monde qui n’a pas encore fini de les étonner.  


Gérard BRECQ
Les Récollets 1941 - 1945


Élèves et Professeurs,

                                     Croquis de Roger PAPILLON
L'oeuvre de Roger Papillon est consultable en ligne à : papi