Ma scolarité aux Récollets (1953-1956) : témoignage de reconnaissance
Ce qui suit
est un extrait de mes « Souvenirs d’enfance » que
j’ai récemment rédigés à la demande
de ma famille. J’y évoque quelques épisodes de ma
scolarité aux Récollets.
...« Après avoir passé le Certificat d’Etudes
Primaires en juin 1953, je fus convoqué avec ma mère par
M. Boidron, le directeur du groupe scolaire de Bagneux, pour parler de
mon avenir...
« Qu’allez-vous faire de votre fils ? »
« Je’n sais pas, Monsieur Boidron. Mon cousin Emile Ratouis
qui est peintre veut bien le prendre en apprentissage ».
« Vous savez, il peut continuer ses études aux
Récollets, il en a les moyens. Je le verrais bien plus tard
instituteur ou professeur d’Histoire »
« Bon, Ben, puisque vous’l dites, Monsieur Boidron, j’veux bien ».
Et c’est ainsi que s’est jouée la suite de ma vie, en quelques minutes et quelques phrases.
Peu d’élèves poursuivaient leurs études en
ce temps-là, surtout les enfants issus d’un milieu
très modeste comme le nôtre. Pour mes parents, cela
signifiait des sacrifices et des efforts encore plus longs et plus
importants.
Les dés étaient jetés : en octobre, j’entrerais au Cours Complémentaire des Récollets.
J’allais fermer définitivement le chapitre très
riche en évènements et en émotions de mon enfance
à l’école primaire et ouvrir celui de mon
adolescence que j’appréhendais avec inquiétude.
Cependant, je devais résoudre un problème important avant
la rentrée. En effet, les élèves qui, comme moi,
à 14 ans, voulaient continuer leurs études, se trouvaient
en décalage avec ceux qui suivaient un cursus normal depuis la
classe de sixième. Je devais obligatoirement intégrer la
5ème directement. Parfait, je pouvais suivre très
facilement avec mon niveau de CFE dans toutes les matières
sauf...en anglais que je n’avais pas appris !!
C’était le hic ! Il était indispensable que
j’apprenne les éléments de base du programme de
6ème pendant l’été ! Comment faire ? Mes
parents n’avaient pas les moyens de me donner des cours
particuliers, et fallait-il encore trouver un professeur en
été!
Heureusement pour moi, ma mère connaissait un ami
d’enfance, M. Guy, à Distré, chez lequel on allait
acheter du pain qu’il cuisait en cachette dans son four pendant
la guerre et dont le fils était en 3ème année
à l’Ecole Normale d’Instituteurs d’Angers.
Avec un peu de réticence, il accepta de me prendre une heure
chaque dimanche, après la messe. A bicyclette, j’ai donc
monté la côte de Bournan, lieu de mes exploits en
traîneau avec les copains, et je me suis rendu dans la ferme des
Guy à Distré que je connaissais depuis longtemps.
J’ai conservé très précieusement mon premier
cahier d’anglais, et les autres par la suite....
...Pour la rentrée d’octobre au Cours
Complémentaire des Récollets, mes parents m’avaient
acheté un vélo d’occasion. Je devais revenir
déjeuner chaque jour à la maison.
Et je suis parti sur mon grand vélo, j’ai franchi le pont
Fouchard, tourné à droite et remonté à vive
allure la longue rue qui menait à l’église de
Nantilly. Puis, je dus monter à pied une rue très en
pente et je suis arrivé, près de l’entrée du
Jardin des Plantes, devant le grand portail des Récollets
où se pressaient de nombreux élèves de toutes les
tailles.
Le coeur battant, je découvris une grande cour bruyante
que je traversai sous le regard curieux des « grands » de
3ème. Je n’en menais pas large, regardant droit devant
moi, cherchant l’endroit où je devais garer mon
vélo. Finalement, je l’ai accroché à une
barre fixée en hauteur, sous le préau du fond.
Et maintenant...
L’air gauche et angoissé, mon cartable sous le bras, je me
suis avancé dans la cour, cherchant du regard un visage connu.
Finalement, avec un « ouf ! » de soulagement,
j’aperçus mes deux copains de Bagneux Roger Hubault et
Jackie Petithomme qui faisaient la rentrée comme moi. Roger
avait l’avantage sur nous d’avoir « fait sa
sixième » aux Récollets. Il connaissait tous les
profs qui discutaient sous la marquise qui ouvrait sur les classes.
« Là, le prof à grosses lunettes avec les mains
enfoncées dans les poches de sa blouse grise, c’est
« Bibirne », le prof de maths. Il discute avec «
Pitchasse », le prof d’anglais. Faites gaffe, ils sont
coriaces et ont la main lourde quand ils punissent.... ». En
fait, ils s’appelaient Gobin et Mercier. J’ai vite compris
que certains profs avaient un sobriquet.
En quelques minutes, il nous avait « présenté
» Pourrin, le directeur, grand, droit dans son ensemble
veste-pantalon impeccable, le regard hautain et sévère,
distribuant des listes, Gasnault, le prof d’Histoire-Géo
et de français, grand, la mèche de cheveux en bataille,
qui en imposait avec ses lunettes d’intello, Prunet, le petit
prof de français plutôt rondouillard, Vallès, le
prof de gym, un bel athlète en survêt’ au visage
très bronzé, et Boudault, qui enseignait les Sciences Nat
et la musique, la moustache grise et fine en mouvement et le coup
d’oeil circulaire maussade. « C’est la terreur des
Récollets ! » nous dit Roger « Méfiez-vous de
lui ! »
Dans cette grande cour, je me sentais comme un étranger parmi
cette foule mixte. Quel changement d’avec l’ambiance du
groupe scolaire tout neuf de Bagneux où les garçons et
les filles étaient séparés par un grand grillage.
Les bâtiments étaient sombres et austères et les
« cabinets à la turque» ressemblaient à
ceux de mon ancienne école près de la mairie :
vétustes et « peu engageants » au vu des portes
bringuebalantes peintes en rouge qui fermaient mal.
Tout à coup, le sifflet du directeur retentit. Tous les
élèves se figèrent, surtout les « grands
» qui devaient savoir par expérience que Pourrin ne
plaisantait pas avec la discipline. Du haut de la galerie, de sa voix
forte et tranchante, il reprit certains « nouveaux » qui
continuaient à bouger. Un long silence calculé
s’installa, puis il nous expliqua les consignes de mise en rang,
classe par classe, devant la marquise. A l’appel de son nom,
chacun se déplaça en silence. Je me rangeai devant la
classe de 5ème générale pendant que mes copains se
retrouvaient tous deux en 5ème commerciale, dans un coin de la
cour. Première déception ! Au fur et à mesure que
les rangs se formaient, je m’aperçus vite que
j’étais le plus grand de ma classe avec un certain
Vigneault de St Hilaire-St Florent.
Nous entrâmes en silence dans une salle sombre, profonde mais
plutôt étroite où s’alignaient des bureaux
anciens à pupitre devant une estrade sur laquelle trônait
le bureau des professeurs. Un rapide calcul m’indiqua que nous
serions 25 élèves. Il y avait un tableau à pivot
à gauche de l’estrade, du côté de la cour de
l’école primaire, et un tableau mural plutôt
abîmé. Je choisis le milieu du deuxième rang pour
m’asseoir, après en avoir reçu l’ordre. Les
chaises raclèrent le vieux parquet déformé en
faisant un bruit sourd. Bigre, quelle ambiance sinistre ! Les
élèves se regardaient, les « anciens » de
sixième s’étaient regroupés au premier rang,
devant l’estrade, bien en vue des professeurs, tels Gautron et
Legrand qui toisaient les « nouveaux » d’un air
goguenard...
...On nous distribua les livres qui nous étaient
prêtés, certains en piteux état à force
d’avoir servi à plusieurs générations
d’élèves. Il fallait les couvrir sous peine de
sanction. Soudain, le directeur entra, tout le monde se leva et
attendit l’ordre de s’asseoir « surtout sans bruit de
chaises ». Il nous parla alors de discipline, de travail et de
morale, nous regardant tous d’un oeil sévère.
Je pris tout
de suite l’habitude de porter ma blouse grise comme la plupart
des élèves. A la première
récréation, je retrouvai avec plaisir mes deux copains
avec lesquels je confiai mes premières impressions plutôt
mitigées. Mais, j’étais déterminé
à bien travailler. Jacques Guy, un copain de Bagneux,
était avec moi en 5ème G. Je fis la connaissance de Jean
Lesaint, un garçon sympathique de Martigné-Briand, en
pension chez une dame de la rue du Pressoir. Comme moi, il avait son
certificat d’études. Nous avons lié amitié
tout de suite. Il ne resta que quinze jours aux Récollets car le
collège public de Doué-la-Fontaine venait
d’être inauguré. Nous nous retrouvâmes 3 ans
plus tard à l’Ecole Normale d’Instituteurs.
Après la pause-déjeuner à la maison, le plus dur
ce fut de remonter la côte, derrière l’église
de Nantilly, malgré mon élan ! Je dus mettre pied
à terre. Mais au retour, quelle descente vertigineuse ! Il
fallait avoir de bons freins ! J’en prenais pour 3 ans, 2 fois
par jour !
Au début, tout se passa bien. J’avais acquis de solides
bases en primaire dans toutes les matières sauf en anglais et en
musique.
Les premiers cours d’anglais furent pour moi un enfer. Je ne
comprenais rien. Le prof posait des questions et les
élèves répondaient facilement. A la fin du cours,
nous devions recopier sur notre cahier le résumé
écrit au tableau noir central. M. Mercier nous lisait la
leçon puis nous la faisait relire dans le livre
Carpentier-Fialip. Les mots nouveaux étant marqués en
caractères gras, cela me permettait ensuite de les apprendre par
coeur, en colonne par deux, anglais-français, sur mon cahier
personnel. Mais j’avais énormément de
difficulté à m’habituer à la prononciation
et à la grammaire anglaises. Heureusement, M. Mercier traduisait
la leçon avec l’aide de la classe.
Pour les « interro écrites », il avait
l’habitude de plier et de découper plusieurs feuilles de
papier en 8 petits rectangles qu’il nous distribuait. Nous
devions inscrire notre nom en haut à gauche de la petite feuille
que l’on devait présenter verticalement et tracer une
marge à la règle. C’était un contrôle
systématique du vocabulaire. Cela prenait du temps sur le cours.
J’obtins donc de bonnes notes sur 10 points et cela
m’encouragea. Il contrôlait aussi les connaissances en
interrogeant un élève au tableau, devant la classe.
Le moment tant redouté pour moi arriva un jour de novembre 1953.
Le professeur m’avait laissé le temps de m’habituer
à l’anglais. Il me fit venir au tableau et me posa une
question que je répétai en guise de réponse. La
classe éclata de rire... Il me posa d’autres questions que
je répétai, l’air très gêné. Il
me renvoya à ma place sans me noter. A la fin du cours, alors
que tous les élèves étaient sortis en
récréation, les larmes aux yeux, je dis à M.
Mercier que je ne comprenais rien, que je ne pouvais pas suivre et que
je demandais à intégrer la 5ème commerciale
où les élèves bénéficiaient de cours
de rattrapage. Il me tapa amicalement sur l’épaule et me
dit, serrant son cartable sous le bras comme à son habitude,
qu’en poursuivant mes efforts entrepris, j’y arriverais
sans difficulté. « Dans 3 mois, on en reparlera »,
me dit-il avec un sourire rassurant, « tu seras parmi les
meilleurs ».
Effectivement, en janvier 1954, j’avais bien progressé.
Récemment, au cours d’un repas des « Anciens des
Récollets » à
Dénezé-sous-Doué, je confiai à Jean-Pierre
Mercier combien j’étais reconnaissant envers son
père de m’avoir fait confiance. On l’appelait
« Pitchasse » sans doute parce qu’il disait souvent
« look at the pictures ». Je me rappellerai toujours ses
cours de fin d’année de 5ème sur les « Isles
of Scilly » qu’il nous présenta comme un petit
paradis au sud des côtes de Cornouailles. C’était un
« fan » de la transcription phonétique et j’ai
tout de suite adopté ce système de symboles qui me
permettait d’améliorer ma prononciation, seul,
enfermé dans ma chambre. Incroyable quand j’y repense
maintenant. Je garde un souvenir ému de M. Mercier. Un jour, je
l’ai rencontré dans la rue St Jean à Saumur. Je lui
ai dit que je venais d’avoir ma licence d’anglais et que je
voulais devenir professeur. Son visage s’illumina, il eut un
large sourire : il était heureux et fier. Moi aussi.
Je n’oublierai jamais, non plus, M. Gobin, le professeur de
maths, alias « Bibirne ». Il était impressionnant de
facilité quand il démontrait par exemple le
théorème de Pythagore ou les propriétés
remarquables de telle ou telle figure géométrique.
J’avais beau apprendre par coeur les définitions, tout
s’embrouillait dans ma mémoire au moment des
contrôles écrits. J’avais presque honte de montrer
mon carnet de notes à M. Boidron, le directeur du groupe
scolaire de Bagneux que j’avais eu comme maître pendant 4
longues années. Heureusement, en français et en Histoire,
ses matières préférées qu’il
m’avait fait aimer, j’étais fier de mes bons
résultats.
En 4ème, avec M. Gasnault, j’ai notamment renforcé
mes connaissances en matière d’analyse grammaticale. En
Histoire, il fallait apprendre par coeur : je me rappelle un
contrôle de leçon où le professeur a
commencé à lire un passage du chapitre à
étudier seul et, lorsqu’il a tourné la page de
droite, de sa voix douce qui entretenait le suspense, il nous a
demandé quel premier mot se trouvait sur la page suivante et
ainsi de suite. A ce petit jeu « à trous » mortel,
j’étais imbattable car j’apprenais bien mes
leçons.
MM. Mercier, Gobin et Gasnault m’ont toujours soutenu au cours de
ma scolarité. C’étaient de bons pédagogues,
sévères mais justes, d’anciens instituteurs devenus
professeurs de cours complémentaire, tout comme M. Boudault qui
enseignait les Sciences Nat et la musique.
Ah ! Boudault et son violon ! Boudault et ses colères ! «
La terreur des Récollets » ! Parlons-en ! Quand il est
apparu pour son premier cours, quel silence de plomb dans la classe !
Il m’est apparu plutôt grand, bedonnant dans sa blouse
blanche ouverte qu’il avait enfilée par dessus sa veste
épaisse, lui faisant une carrure impressionnante, la moustache
frémissante de plaisir en voyant notre regard
inquiet. Il s’est assis au bureau et a appelé les «
nouveaux » un par un, nous demandant si on avait fait du
solfège. Personnellement, je répondis
négativement. Je savais chanter, oui. Il pinça les
lèvres, faisant remonter sa moustache grisonnante. Il ouvrit son
boîtier, sortit son violon avec précaution,
l’accorda, puis nous demanda d’ouvrir le livre de musique
aux premiers exercices. Il sortit de son petit cartable son
métronome dont il régla le tempo et se mit à
interpréter le premier exercice après avoir donné
le « do » : « do do sol, la si do, do do mi mi
ré ré etc... » puis le deuxième : « do
ré mi fa sol, la sol la si do, sol la sol fa mi, fa mi ré
do ré » et ainsi de suite, exercices que je connais encore
par coeur, 56 ans plus tard !
Je répétais bêtement avec les autres des airs que
je ne pouvais déchiffrer à partir de signes cabalistiques
accrochés à des portées. Quand on se trompait, il
tapait rageusement du pied et hurlait « c’est faux !
», et l’on répétait inlassablement en battant
la mesure avec le bras.
Ses cours étaient un enfer et les interrogations de
contrôle de leçon étaient encore plus redoutables.
Cela finissait toujours pour moi par un « zéro
pointé » marqué sur son carnet avec un crayon de
bois soigneusement taillé. Certains élèves
récitaient leur exercice en battant la mesure, avec des
trémolos dans la voix, les meilleurs hésitaient,
perdaient confiance et se faisaient rabrouer sans ménagement.
J’en garde un souvenir très pénible.
Mais je n’avais pas peur de cet énergumène que tous
les élèves semblaient détester. Je demandai
à ma mère de me faire donner des cours de solfège.
Finalement, on lui donna l’adresse de M. Hubault, violoncelliste
dans l’orchestre du théâtre de Saumur et comptable
de profession. Il habitait une ruelle qui donnait dans la rue St Jean.
Je me rendis chez lui une fois par semaine, le soir après son
travail. Il prenait 5 francs de l’heure. Pour ma mère,
c’était un gros sacrifice. C’était un homme
affable, discret, très sérieux, genre « vieille
France » et certainement pas très fortuné au vu de
ses vêtements noirs plutôt fripés et de
l’intérieur sombre et démodé de sa petite
maison. Quoi qu’il en soit, il m’apprit avec patience et
amabilité les bases du solfège que je devais
mémoriser ensuite à la maison, et me fit
déchiffrer de nombreux exercices, y compris ceux de mon livre de
musique.
Je commençais à me sentir plus à l’aise et
confiant lorsque Boudault m’interrogea un jour, le regard
malicieux et la moustache frémissante, sûr de son coup.
« Beuzon, exercice n°2 »...
Je revois encore la page de droite de mon cahier de musique. Calmement,
je déchiffrai les notes en battant la mesure à 2 temps,
sans hésiter, sans me tromper, dans le silence habituel de la
classe qui retenait sa respiration. Quand j’eus fini, je levai la
tête, vis le regard incrédule de Boudault, au-dessus de
ses lunettes pincées au bout de son nez. Silence. Il dominait la
classe du haut de l’estrade. Il me demanda alors de chanter les
notes. Ce que je fis en prenant le « do » du violon.
Exécution parfaite à mon goût. Silence. « 5
sur 10 » fut la réponse en guise de sentence.
C’était ma première note au-dessus de «
zéro pointé ». C’était le dégel
! Cela valait plus, mais qu’importe, j’avais ma revanche
sur Boudault qui, tout d’un coup, me considéra d’un
oeil différent. Par la suite, mes notes
s’améliorèrent grâce aux cours particuliers
que je pris pendant quelques mois, jusqu’au moment où M.
Hubault suggéra à ma mère que je choisisse un
instrument. Ce n’était pas possible,
financièrement, aussi ai-je cessé les cours de
solfège à mon grand regret.
J’étais abonné aux JMF (Jeunesses Musicales de
France) comme beaucoup d’élèves. Il nous arrivait
d’aller assister à un concert au théâtre. En
janvier 1956, Sibelius était au programme, je m’en
souviens très bien. Nous partions à pied des
Récollets, en rang par deux, formant une longue procession
à travers les rues de Saumur, accompagnés par quelques
professeurs. Nous assistions aussi à des pièces de
théâtre telles Andromaque avec Daniel Gélin et
Michel Auclair et Tartuffe admirablement interprété par
Fernand Ledoux.
Boudault enseignait également les Sciences Naturelles.
Même ambiance tendue, même sévérité,
mêmes résultats. Personnellement, j’avais compris
comment il fonctionnait. Il exigeait le « par coeur
intégral », c’est à dire qu’il fallait
réciter ses cours textuellement, par écrit, sans oublier
une seule virgule. Je me rappelle clairement les leçons sur la
paramécie, le lombric, les vertébrés et les
invertébrés, les planches de dissection et les dessins
avec couleurs qu’il nous distribuait ou que l’on
reproduisait sur nos cahiers avec un soin irréprochable sinon
gare aux punitions et aux colères subites ! Grâce à
ma mémoire et à ma détermination, je
réussissais à l’étonner et à
décrocher quelques bonnes notes. Il était intraitable et
infernal. Il partit à la retraite en juin 1955, sans doute
à la grande joie de beaucoup d’élèves...
...Prunet, « le p’tit prof », enseignait le
français. Sa voix était calme mais faible. Les
élèves ne l’écoutaient pas et
préféraient bavarder. Alors, il parlait plus fort pour se
faire entendre. A bout de patience, il se mettait en colère, son
visage devenait blême. C’était en classe de
5ème commerciale que les élèves étaient les
plus turbulents. Roger Hubault nous confiait en riant, à la
récréation, qu’ils « le poussaient à
bout ». Un jour, dans cette classe justement, il eut un malaise
cardiaque et resta absent plusieurs mois. Il fut remplacé par
Mme Giducci, très sympathique et dynamique, avec laquelle
j’ai eu plaisir à travailler. J’en garde un
très bon souvenir. Elle est décédée en 2009
à l’âge de 90 ans.
M. Pourrin était visiblement passionné de Sciences
Naturelles. Il proposait aux élèves volontaires quelques
cours le jeudi après-midi dans la station viticole du Jardin des
Plantes. Je me rappelle encore ses explications passionnantes sur la
manière de greffer sur sauvageon et ses travaux pratiques sur
des ceps de vigne. Il devait aussi aimer les belles voitures : il
traversait parfois la cour dans sa décapotable. Mais je
n’ai pas gardé que de bons souvenirs de lui ...
...Au vu de mes résultats satisfaisants en 4ème, en y
repensant bien, j’envisageais déjà de me
présenter, l’année suivante, au concours
d’entrée à l’EN d’Angers. Les
professeurs Mercier, Gasnault, Gobin et même le directeur
prenaient souvent en exemple les élèves de 3ème
qui préparaient le concours comme Bondu, Cordier, Baranger et
Ganault, ces deux derniers originaires de Bagneux, « de bons
élèves qui bûchaient », ou les «
anciens » des Récollets comme Jean Guern, Gérard et
Josette Péan qui avaient fréquenté
l’école primaire de Bagneux et dont M. Boidron nous
faisait souvent l’éloge. Ils avaient dû entrer
directement en sixième. Je me rappelle encore l’article
publié dans le journal local consacré à «
Jean Guern, le plus jeune agrégé de France à 21
ans ». J’avais été admiratif ! Je le voyais
de temps à autre, au moment des vacances, avec ses parents dans
le vieux Bagneux. Pour nous, élèves, il était le
« modèle à suivre »...
... Alors, l’idée avait germé peu à peu dans
ma tête d’imiter tous ces « cracks », surtout
que les études étaient gratuites une fois le concours
passé. Cet argument devrait plaire à ma mère quand
la décision serait à prendre à la rentrée
de 1955. Lorsque M. Gobin, alias « Bibirne », la
rencontrait à Bagneux où il demeurait rue du
Pont-Fouchard, il ne manquait pas de lui répéter que je
pouvais y arriver en travaillant les maths, ma matière faible.
M. Gobin était un homme simple, abordable malgré son air
parfois bourru...
...A la rentrée d’octobre, la classe de 3ème
générale se trouvait à côté du petit
bureau du directeur, dans l’ancien atelier de menuiserie.
Nous connaissions de vue M. Appeau, notre nouveau professeur de
français, puisqu’il avait été
jusqu’alors professeur de gym avec M. Vallès. Grand et
mince, il avait un visage osseux, de petits yeux vifs et un fichu
caractère. Il s’emportait vite, n’hésitait
pas à mettre une taloche aux élèves turbulents et
surtout il avait la réplique facile et cinglante. Un jour de fin
janvier 1956, devant la classe, il m’encouragea à «
corriger » Chamoret et Justeau qui m’avaient
importuné sur la cour. Ce que j’ai fait avec empressement
à la récré suivante...Mais, M. Appeau se
révéla vite à nos yeux un excellent professeur, un
esprit fin et curieux. Sa méthode et le contenu de ses cours me
plurent d’emblée et j’eus beaucoup de plaisir
à travailler avec lui.
Nous étions 5 à vouloir nous présenter au concours
d’entrée à l’EN dont mes camarades Jean
Leforgeais et Jacques Guy. Nous avions droit à des
dictées et des analyses grammaticales plus longues que le reste
de la classe. Un jour, il me rudoya pour avoir osé écrire
le titre « Mille et une nuit » sans « s
» à nuit ! Nous devions enrichir notre culture
générale par des lectures supplémentaires. De
plus, M. Appeau n’hésita pas à nous réunir
chez lui, à St Hilaire St Florent, le samedi après-midi,
pour préparer bénévolement l’épreuve
redoutée du commentaire de texte au concours
d’entrée qui ne faisait pas partie du programme de
3ème. Il nous polycopiait des extraits d’auteurs
accompagnés de questionnaires précis qui nous obligeaient
à structurer notre pensée et à rédiger avec
rigueur et concision. Nous apprîmes, au détour de la
conversation, qu’il préparait (ou avait
préparé ?) lui-même sa licence de lettres modernes
par correspondance à l’université de Poitiers
où il se rendait un jour entier par semaine. Il voulait ensuite
passer son CAPES pour devenir professeur certifié.
Son exemple m’a beaucoup inspiré puisqu’en 1963,
j’ai suivi le même chemin, dans les mêmes conditions
de travail, combinant mes 30 heures de cours au collège de
Gennes et mes études par correspondance, me rendant une
journée entière à Poitiers, pendant 5 longues
années...
...C’est justement à Poitiers que je rencontrai
Gérard Péan le jour de l’examen de
Propédeutique en juin 1964. Un chic garçon, aux lunettes
fines, à la mèche de cheveux blonde plutôt rebelle,
très cultivé et très sympathique, comme Josette sa
soeur, et qui voulait devenir comme moi et son ami Colliot professeur
certifié d’anglais. Il enseignait au collège de
Montélimard... J’avais été heureux de
rencontrer un de mes « modèles ». Malheureusement,
il disparut tragiquement lors d’une plongée sous-marine au
large des Corbières et Colliot fut tué dans un accident
de la route...
...Le concours d’entrée à l’EN approchait.
Avec M. Vallès, nous, les cinq candidats, montions au Clos
Coutard pour répéter inlassablement les «
mouvements » et autres épreuves obligatoires ou en option.
Un menuisier venait de temps en temps aux Récollets pour nous
apprendre à réaliser des mortaises et autres assemblages
indispensables à connaître pour exécuter une
« pièce » de menuiserie en temps limité...
...En 1956, je fus le seul élève des Récollets
à avoir été reçu au concours
d’entrée. Le soir de la proclamation des résultats,
en arrivant dans la rue de Terrefort où ma mère
m’attendait, entourée de tous les voisins, j’eus la
grande surprise de voir arriver derrière moi M. Appeau sur son
grand vélo aux grandes sacoches accrochées à son
porte-bagages. « Félicitations, Beuzon, tu
l’as bien mérité ». Il me serra la main. Il
était très ému. Il était heureux pour moi
et pour ma mère avec laquelle il faisait parfois un brin de
causette à St Florent. J’ai su par la suite qu’Il
avait téléphoné plusieurs fois à ma
mère sur son lieu de travail : « Alors, le fils ? »
pour finalement s’entendre dire : « Il est reçu, il
arrive par le premier train... » Sa présence
m’honorait. Ma réussite était aussi la sienne et je
fus heureux de la partager avec lui parmi les miens....Moment
exceptionnel qui resta gravé dans ma mémoire...
...En septembre 1956, j’intégrai donc l’Ecole
Normale d’Instituteurs d’Angers, heureux et fier. Je
fermais définitivement le chapitre de mon enfance pour en
commencer un autre riche en promesses d’avenir... »
(Pour la
petite histoire, j’accomplis l’un de mes stages de
formation en 4ème année d’Ecole Normale chez Guy
Bahuault à St Florent-le-Vieil, un « ancien des
Récollets », comme je l’ai appris récemment.
Souvenir inoubliable d’un maître très rigoureux et
passionné par son métier.
MM.
Boidron, Gasnault et Bahuault me firent aimer l’Histoire.
Cependant, je ne suis pas devenu professeur d’Histoire.
J’ai préféré l’anglais (petit clin
d’oeil de reconnaissance à M. Mercier). J’ai eu
beaucoup de satisfaction d’accueillir dans mes classes quelque 50
professeurs stagiaires du CPR de Nantes puis de l’IUFM
d’Angers. Mes pairs me firent l’honneur d’une
promotion exceptionnelle. Mais, depuis quelques années, ma
passion pour l’Histoire m’a amené à la
Généalogie et à créer mon propre site sur
internet.
J’eus
la chance d’être moi-même formé par des
enseignants remarquables auxquels je voue une reconnaissance infinie.
Que cet extrait choisi de mes « Souvenirs d’enfance » en soit un témoignage)
André BEUZON
Les Récollets 1953-56
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