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Dans cette page retrouvez les textes que vous nous avez envoyés, mais aussi une sélection d'articles parus dans les bulletins de l'Association :



Voilà les Récollets, de Pierre CHOPIN


Ma scolarité aux Récollets, de André BEUZON


Le Vent d'hiver, de Jean GUÉRIN


Le Jardin des Plantes, de Micheline DACHEUX


Souvenir... Une leçon peu suivie, de Micheline DACHEUX 


Violence dans les Écoles, de Micheline DACHEUX 


               L'ordinateur et l'Association, de Micheline DACHEUX

La fête des Récollets,  de Micheline DACHEUX

Marcel APPEAU, de Pierre GOUBERT

Merci Monsieur POURRIN, de Micheline DACHEUX

Marcel POURRIN, de Paule TROUBAT

Nostalgie, de Paule TROUBAT

Sur le chemin de l'école, de Claude BOELDIEU

Un homme se penche sur son passé, de Abel MAILET

Récollets-Années 20, de Pierre GOUBERT

Les Conquistadores, de Gérard BRECQ

CROQUIS, de Roger PAPILLON


Ma scolarité aux Récollets

                                   de André BEUZON, les Récollets 1953-56



Ma scolarité aux Récollets (1953-1956) : témoignage de reconnaissance



Ce qui suit est un extrait de mes « Souvenirs d’enfance » que j’ai récemment rédigés à la demande de ma famille. J’y évoque quelques épisodes de ma scolarité aux Récollets.

...« Après avoir passé le Certificat d’Etudes Primaires en juin 1953, je fus convoqué avec ma mère par M. Boidron, le directeur du groupe scolaire de Bagneux, pour parler de mon avenir...

« Qu’allez-vous faire de votre fils ? »
« Je’n sais pas, Monsieur Boidron. Mon cousin Emile Ratouis qui est peintre veut bien le prendre en apprentissage ».
« Vous savez, il peut continuer ses études aux Récollets, il en a les moyens. Je le verrais bien plus tard instituteur ou professeur d’Histoire »
 « Bon, Ben, puisque vous’l dites, Monsieur Boidron, j’veux bien ».

Et c’est ainsi que s’est jouée la suite de ma vie, en quelques minutes et quelques phrases.

Peu d’élèves poursuivaient leurs études en ce temps-là, surtout les enfants issus d’un milieu très modeste comme le nôtre. Pour mes parents, cela signifiait des sacrifices et des efforts encore plus longs et plus importants. 

Les dés étaient jetés : en octobre, j’entrerais au Cours Complémentaire des Récollets.

J’allais fermer définitivement le chapitre très riche en évènements et en émotions de mon enfance à l’école primaire et ouvrir celui de mon adolescence que j’appréhendais avec inquiétude.

Cependant, je devais résoudre un problème important avant la rentrée. En effet, les élèves qui, comme moi, à 14 ans, voulaient continuer leurs études, se trouvaient en décalage avec ceux qui suivaient un cursus normal depuis la classe de sixième. Je devais obligatoirement intégrer la 5ème directement. Parfait, je pouvais suivre très facilement avec mon niveau de CFE dans toutes les matières sauf...en anglais que je n’avais pas appris !!

C’était le hic ! Il était indispensable que j’apprenne les éléments de base du programme de 6ème pendant l’été ! Comment faire ? Mes parents n’avaient pas les moyens de me donner des cours particuliers, et fallait-il encore trouver un professeur en été!

Heureusement pour moi, ma mère connaissait un ami d’enfance, M. Guy, à Distré, chez lequel on allait acheter du pain qu’il cuisait en cachette dans son four pendant la guerre et dont le fils était en 3ème année à l’Ecole Normale d’Instituteurs d’Angers. Avec un peu de réticence, il accepta de me prendre une heure chaque dimanche, après la messe. A bicyclette, j’ai donc monté la côte de Bournan, lieu de mes exploits en traîneau avec les copains, et je me suis rendu dans la ferme des Guy à Distré que je connaissais depuis longtemps. J’ai conservé très précieusement mon premier cahier d’anglais, et les autres par la suite....

...Pour la rentrée d’octobre au Cours Complémentaire des Récollets, mes parents m’avaient acheté un vélo d’occasion. Je devais revenir déjeuner chaque jour à la maison.

Et je suis parti sur mon grand vélo, j’ai franchi le pont Fouchard, tourné à droite et remonté à vive allure la longue rue qui menait à l’église de Nantilly. Puis, je dus monter à pied une rue très en pente et je suis arrivé, près de l’entrée du Jardin des Plantes, devant le grand portail des Récollets où se pressaient de nombreux élèves de toutes les tailles.

Le coeur battant, je découvris une grande cour  bruyante que je traversai sous le regard curieux des « grands » de 3ème. Je n’en menais pas large, regardant droit devant moi, cherchant l’endroit où je devais garer mon vélo. Finalement, je l’ai accroché à une barre fixée en hauteur, sous le préau du fond.

Et maintenant...

L’air gauche et angoissé, mon cartable sous le bras, je me suis avancé dans la cour, cherchant du regard un visage connu. Finalement, avec un « ouf ! » de soulagement, j’aperçus mes deux copains de Bagneux Roger Hubault et Jackie Petithomme qui faisaient la rentrée comme moi. Roger avait l’avantage sur nous d’avoir « fait sa sixième » aux Récollets. Il connaissait tous les profs qui discutaient sous la marquise qui ouvrait sur les classes.

« Là, le prof à grosses lunettes avec les mains enfoncées dans les poches de sa blouse grise, c’est « Bibirne », le prof de maths. Il discute avec « Pitchasse », le prof d’anglais. Faites gaffe, ils sont coriaces et ont la main lourde quand ils punissent.... ». En fait, ils s’appelaient Gobin et Mercier. J’ai vite compris que certains profs avaient un sobriquet.

En quelques minutes, il nous avait « présenté » Pourrin, le directeur, grand, droit dans son ensemble veste-pantalon impeccable, le regard hautain et sévère, distribuant des listes, Gasnault, le prof d’Histoire-Géo et de français, grand, la mèche de cheveux en bataille, qui en imposait avec ses lunettes d’intello, Prunet, le petit prof de français plutôt rondouillard, Vallès, le prof de gym, un bel athlète en survêt’ au visage très bronzé, et Boudault, qui enseignait les Sciences Nat et la musique, la moustache grise et fine en mouvement et le coup d’oeil circulaire maussade. « C’est la terreur des Récollets ! » nous dit Roger « Méfiez-vous de lui ! »

Dans cette grande cour, je me sentais comme un étranger parmi cette foule mixte. Quel changement d’avec l’ambiance du groupe scolaire tout neuf de Bagneux où les garçons et les filles étaient séparés par un grand grillage.

Les bâtiments étaient sombres et austères et les « cabinets à la turque» ressemblaient  à ceux de mon ancienne école près de la mairie : vétustes et « peu engageants » au vu des portes bringuebalantes peintes en rouge qui fermaient mal.

Tout à coup, le sifflet du directeur retentit. Tous les élèves se figèrent, surtout les « grands » qui devaient savoir par expérience que Pourrin ne plaisantait pas avec la discipline. Du haut de la galerie, de sa voix forte et tranchante, il reprit certains « nouveaux » qui continuaient à bouger. Un long silence calculé s’installa, puis il nous expliqua les consignes de mise en rang, classe par classe, devant la marquise. A l’appel de son nom, chacun se déplaça en silence. Je me rangeai devant la classe de 5ème générale pendant que mes copains se retrouvaient tous deux en 5ème commerciale, dans un coin de la cour. Première déception ! Au fur et à mesure que les rangs se formaient, je m’aperçus vite que j’étais le plus grand de ma classe avec un certain Vigneault de St Hilaire-St Florent.

Nous entrâmes en silence dans une salle sombre, profonde mais plutôt étroite où s’alignaient des bureaux anciens à pupitre devant une estrade sur laquelle trônait le bureau des professeurs. Un rapide calcul m’indiqua que nous serions 25 élèves. Il y avait un tableau à pivot à gauche de l’estrade, du côté de la cour de l’école primaire, et un tableau mural plutôt abîmé. Je choisis le milieu du deuxième rang pour m’asseoir, après en avoir reçu l’ordre. Les chaises raclèrent le vieux parquet déformé en faisant un bruit sourd. Bigre, quelle ambiance sinistre ! Les élèves se regardaient, les « anciens » de sixième s’étaient regroupés au premier rang, devant l’estrade, bien en vue des professeurs, tels Gautron et Legrand qui toisaient les « nouveaux » d’un air goguenard...

...On nous distribua les livres qui nous étaient prêtés, certains en piteux état à force d’avoir servi à plusieurs générations d’élèves. Il fallait les couvrir sous peine de sanction. Soudain, le directeur entra, tout le monde se leva et attendit l’ordre de s’asseoir « surtout sans bruit de chaises ». Il nous parla alors de discipline, de travail et de morale, nous regardant tous d’un oeil sévère.

Je pris tout de suite l’habitude de porter ma blouse grise comme la plupart des élèves. A la première récréation, je retrouvai avec plaisir mes deux copains avec lesquels je confiai mes premières impressions plutôt mitigées. Mais, j’étais déterminé à bien travailler. Jacques Guy, un copain de Bagneux, était avec moi en 5ème G. Je fis la connaissance de Jean Lesaint, un garçon sympathique de Martigné-Briand, en pension chez une dame de la rue du Pressoir. Comme moi, il avait son certificat d’études. Nous avons lié amitié tout de suite. Il ne resta que quinze jours aux Récollets car le collège public de Doué-la-Fontaine venait d’être inauguré. Nous nous retrouvâmes 3 ans plus tard à l’Ecole Normale d’Instituteurs.
 
Après la pause-déjeuner à la maison, le plus dur ce fut de remonter la côte, derrière l’église de Nantilly, malgré mon élan ! Je dus mettre pied à terre. Mais au retour, quelle descente vertigineuse ! Il fallait avoir de bons freins ! J’en prenais pour 3 ans, 2 fois par jour !

Au début, tout se passa bien. J’avais acquis de solides bases en primaire dans toutes les matières sauf en anglais et en musique.

Les premiers cours d’anglais furent pour moi un enfer. Je ne comprenais rien. Le prof posait des questions et les élèves répondaient facilement. A la fin du cours, nous devions recopier sur notre cahier le résumé écrit au tableau noir central. M. Mercier nous lisait la leçon puis nous la faisait relire dans le livre Carpentier-Fialip. Les mots nouveaux étant marqués en caractères gras, cela me permettait ensuite de les apprendre par coeur, en colonne par deux, anglais-français, sur mon cahier personnel. Mais j’avais énormément de difficulté à m’habituer à la prononciation et à la grammaire anglaises. Heureusement, M. Mercier traduisait la leçon avec l’aide de la classe.

Pour les « interro écrites », il avait l’habitude de plier et de découper plusieurs feuilles de papier en 8 petits rectangles qu’il nous distribuait. Nous devions inscrire notre nom en haut à gauche de la petite feuille que l’on devait présenter verticalement et tracer une marge à la règle. C’était un contrôle systématique du vocabulaire. Cela prenait du temps sur le cours. J’obtins donc de bonnes notes sur 10 points et cela m’encouragea. Il contrôlait aussi les connaissances en interrogeant un élève au tableau, devant la classe.

Le moment tant redouté pour moi arriva un jour de novembre 1953. Le professeur m’avait laissé le temps de m’habituer à l’anglais. Il me fit venir au tableau et me posa une question que je répétai en guise de réponse. La classe éclata de rire... Il me posa d’autres questions que je répétai, l’air très gêné. Il me renvoya à ma place sans me noter. A la fin du cours, alors que tous les élèves étaient sortis en récréation, les larmes aux yeux, je dis à M. Mercier que je ne comprenais rien, que je ne pouvais pas suivre et que je demandais à intégrer la 5ème commerciale où les élèves bénéficiaient de cours de rattrapage. Il me tapa amicalement sur l’épaule et me dit, serrant son cartable sous le bras comme à son habitude, qu’en poursuivant mes efforts entrepris, j’y arriverais sans difficulté. « Dans 3 mois, on en reparlera », me dit-il avec un sourire rassurant, « tu seras parmi les meilleurs ».

Effectivement, en janvier 1954, j’avais bien progressé. Récemment, au cours d’un repas des « Anciens des Récollets » à Dénezé-sous-Doué, je confiai à Jean-Pierre Mercier combien j’étais reconnaissant envers son père de m’avoir fait confiance. On l’appelait « Pitchasse » sans doute parce qu’il disait souvent « look at the pictures ». Je me rappellerai toujours ses cours de fin d’année de 5ème sur les « Isles of Scilly » qu’il nous présenta comme un petit paradis au sud des côtes de Cornouailles. C’était un « fan » de la transcription phonétique et j’ai tout de suite adopté ce système de symboles qui me permettait d’améliorer ma prononciation, seul, enfermé dans ma chambre. Incroyable quand j’y repense maintenant. Je garde un souvenir ému de M. Mercier. Un jour, je l’ai rencontré dans la rue St Jean à Saumur. Je lui ai dit que je venais d’avoir ma licence d’anglais et que je voulais devenir professeur. Son visage s’illumina, il eut un large sourire : il était heureux et fier. Moi aussi.

Je n’oublierai jamais, non plus, M. Gobin, le professeur de maths, alias « Bibirne ». Il était impressionnant de facilité quand il démontrait par exemple le théorème de Pythagore ou les propriétés remarquables de telle ou telle figure géométrique. J’avais beau apprendre par coeur les définitions, tout s’embrouillait dans ma mémoire au moment des contrôles écrits. J’avais presque honte de montrer mon carnet de notes à M. Boidron, le directeur du groupe scolaire de Bagneux que j’avais eu comme maître pendant 4 longues années. Heureusement, en français et en Histoire, ses matières préférées qu’il m’avait fait aimer, j’étais fier de mes bons résultats.

En 4ème, avec M. Gasnault, j’ai notamment renforcé mes connaissances en matière d’analyse grammaticale. En Histoire, il fallait apprendre par coeur : je me rappelle un contrôle de leçon où le professeur a commencé à lire un passage du chapitre à étudier seul et, lorsqu’il a tourné la page de droite, de sa voix douce qui entretenait le suspense, il nous a demandé quel premier mot se trouvait sur la page suivante et ainsi de suite. A ce petit jeu « à trous » mortel, j’étais imbattable car j’apprenais bien mes leçons.

MM. Mercier, Gobin et Gasnault m’ont toujours soutenu au cours de ma scolarité. C’étaient de bons pédagogues, sévères mais justes, d’anciens instituteurs devenus professeurs de cours complémentaire, tout comme M. Boudault qui enseignait les Sciences Nat et la musique.

Ah ! Boudault et son violon ! Boudault et ses colères ! « La terreur des Récollets » ! Parlons-en ! Quand il est apparu pour son premier cours, quel silence de plomb dans la classe !

Il m’est apparu plutôt grand, bedonnant dans sa blouse blanche ouverte qu’il avait enfilée par dessus sa veste épaisse, lui faisant une carrure impressionnante, la moustache frémissante de plaisir en  voyant  notre regard inquiet. Il s’est assis au bureau et a appelé les « nouveaux » un par un, nous demandant si on avait fait du solfège. Personnellement, je répondis négativement. Je savais chanter, oui. Il pinça les lèvres, faisant remonter sa moustache grisonnante. Il ouvrit son boîtier, sortit son violon avec précaution, l’accorda, puis nous demanda d’ouvrir le livre de musique aux premiers exercices. Il sortit de son petit cartable son métronome dont il régla le tempo et se mit à interpréter le premier exercice après avoir donné le « do » : « do do sol, la si do, do do mi mi ré ré etc... » puis le deuxième : « do ré mi fa sol, la sol la si do, sol la sol fa mi, fa mi ré do ré » et ainsi de suite, exercices que je connais encore par coeur, 56 ans plus tard !

Je répétais bêtement avec les autres des airs que je ne pouvais déchiffrer à partir de signes cabalistiques accrochés à des portées. Quand on se trompait, il tapait rageusement du pied et hurlait « c’est faux ! », et l’on répétait inlassablement en battant la mesure avec le bras.

Ses cours étaient un enfer et les interrogations de contrôle de leçon étaient encore plus redoutables. Cela finissait toujours pour moi par un « zéro pointé » marqué sur son carnet avec un crayon de bois soigneusement taillé. Certains élèves récitaient leur exercice en battant la mesure, avec des trémolos dans la voix, les meilleurs hésitaient, perdaient confiance et se faisaient rabrouer sans ménagement.

J’en garde un souvenir très pénible.

Mais je n’avais pas peur de cet énergumène que tous les élèves semblaient détester. Je demandai à ma mère de me faire donner des cours de solfège. Finalement, on lui donna l’adresse de M. Hubault, violoncelliste dans l’orchestre du théâtre de Saumur et comptable de profession. Il habitait une ruelle qui donnait dans la rue St Jean. Je me rendis chez lui une fois par semaine, le soir après son travail. Il prenait 5 francs de l’heure. Pour ma mère, c’était un gros sacrifice. C’était un homme affable, discret, très sérieux, genre « vieille France » et certainement pas très fortuné au vu de ses vêtements noirs plutôt fripés et de l’intérieur sombre et démodé de sa petite maison. Quoi qu’il en soit, il m’apprit avec patience et amabilité les bases du solfège que je devais mémoriser ensuite à la maison, et me fit déchiffrer de nombreux exercices, y compris ceux de mon livre de musique.

Je commençais à me sentir plus à l’aise et confiant lorsque Boudault m’interrogea un jour, le regard malicieux et la moustache frémissante, sûr de son coup. « Beuzon, exercice n°2 »...

Je revois encore la page de droite de mon cahier de musique. Calmement, je déchiffrai les notes en battant la mesure à 2 temps, sans hésiter, sans me tromper, dans le silence habituel de la classe qui retenait sa respiration. Quand j’eus fini, je levai la tête, vis le regard incrédule de Boudault, au-dessus de ses lunettes pincées au bout de son nez. Silence. Il dominait la classe du haut de l’estrade. Il me demanda alors de chanter les notes. Ce que je fis en prenant le « do » du violon. Exécution parfaite à mon goût. Silence. « 5 sur 10 » fut la réponse en guise de sentence.

C’était ma première note au-dessus de « zéro pointé ». C’était le dégel ! Cela valait plus, mais qu’importe, j’avais ma revanche sur Boudault qui, tout d’un coup, me considéra d’un oeil différent. Par la suite, mes notes s’améliorèrent grâce aux cours particuliers que je pris pendant quelques mois, jusqu’au moment où M. Hubault suggéra à ma mère que je choisisse un instrument. Ce n’était pas possible, financièrement, aussi ai-je cessé les cours de solfège à mon grand regret.

J’étais abonné aux JMF (Jeunesses Musicales de France) comme beaucoup d’élèves. Il nous arrivait d’aller assister à un concert au théâtre. En janvier 1956, Sibelius était au programme, je m’en souviens très bien. Nous partions à pied des Récollets, en rang par deux, formant une longue procession à travers les rues de Saumur, accompagnés par quelques professeurs. Nous assistions aussi à des pièces de théâtre telles Andromaque avec Daniel Gélin et Michel Auclair et Tartuffe admirablement interprété par Fernand Ledoux.

Boudault enseignait également les Sciences Naturelles. Même ambiance tendue, même sévérité, mêmes résultats. Personnellement, j’avais compris comment il fonctionnait. Il exigeait le « par coeur intégral », c’est à dire qu’il fallait réciter ses cours textuellement, par écrit, sans oublier une seule virgule. Je me rappelle clairement les leçons sur la paramécie, le lombric, les vertébrés et les invertébrés, les planches de dissection et les dessins avec couleurs qu’il nous distribuait ou que l’on reproduisait sur nos cahiers avec un soin irréprochable sinon gare aux punitions et aux colères subites ! Grâce à ma mémoire et à ma détermination, je réussissais à l’étonner et à décrocher quelques bonnes notes. Il était intraitable et infernal. Il partit à la retraite en juin 1955, sans doute à la grande joie de beaucoup d’élèves...

...Prunet, « le p’tit prof », enseignait le français. Sa voix était calme mais faible. Les élèves ne l’écoutaient pas et préféraient bavarder. Alors, il parlait plus fort pour se faire entendre. A bout de patience, il se mettait en colère, son visage devenait blême. C’était en classe de 5ème commerciale que les élèves étaient les plus turbulents. Roger Hubault nous confiait en riant, à la récréation, qu’ils « le poussaient à bout ». Un jour, dans cette classe justement, il eut un malaise cardiaque et resta absent plusieurs mois. Il fut remplacé par Mme Giducci, très sympathique et dynamique, avec laquelle j’ai eu plaisir à travailler. J’en garde un très bon souvenir. Elle est décédée en 2009 à l’âge de 90 ans.

M. Pourrin était visiblement passionné de Sciences Naturelles. Il proposait aux élèves volontaires quelques cours le jeudi après-midi dans la station viticole du Jardin des Plantes. Je me rappelle encore ses explications passionnantes sur la manière de greffer sur sauvageon et ses travaux pratiques sur des ceps de vigne. Il devait aussi aimer les belles voitures : il traversait parfois la cour dans sa décapotable. Mais je n’ai pas gardé que de bons souvenirs de lui ...

...Au vu de mes résultats satisfaisants en 4ème, en y repensant bien, j’envisageais déjà de me présenter, l’année suivante, au concours d’entrée à l’EN d’Angers. Les professeurs Mercier, Gasnault, Gobin et même le directeur prenaient souvent en exemple les élèves de 3ème qui préparaient le concours comme Bondu, Cordier, Baranger et Ganault, ces deux derniers originaires de Bagneux, « de bons élèves qui bûchaient », ou les « anciens » des Récollets comme Jean Guern, Gérard et Josette Péan qui avaient fréquenté l’école primaire de Bagneux et dont M. Boidron nous faisait souvent l’éloge. Ils avaient dû entrer directement en sixième. Je me rappelle encore l’article publié dans le journal local consacré à « Jean Guern, le plus jeune agrégé de France à 21 ans ». J’avais été admiratif ! Je le voyais de temps à autre, au moment des vacances, avec ses parents dans le vieux Bagneux. Pour nous, élèves, il était le « modèle à suivre »...
 
... Alors, l’idée avait germé peu à peu dans ma tête d’imiter tous ces « cracks », surtout que les études étaient gratuites une fois le concours passé. Cet argument devrait plaire à ma mère quand la décision serait à prendre à la rentrée de 1955. Lorsque M. Gobin, alias « Bibirne », la rencontrait à Bagneux où il demeurait rue du Pont-Fouchard, il ne manquait pas de lui répéter que je pouvais y arriver en travaillant les maths, ma matière faible. M. Gobin était un homme simple, abordable malgré son air parfois bourru...

...A la rentrée d’octobre, la classe de 3ème générale se trouvait à côté du petit bureau du directeur, dans l’ancien atelier de menuiserie.

Nous connaissions de vue M. Appeau, notre nouveau professeur de français, puisqu’il avait été jusqu’alors professeur de gym avec M. Vallès. Grand et mince, il avait un visage osseux, de petits yeux vifs et un fichu caractère. Il s’emportait vite, n’hésitait pas à mettre une taloche aux élèves turbulents et surtout il avait la réplique facile et cinglante. Un jour de fin janvier 1956, devant la classe, il m’encouragea à « corriger » Chamoret et Justeau qui m’avaient importuné sur la cour. Ce que j’ai fait avec empressement à la récré suivante...Mais, M. Appeau se révéla vite à nos yeux un excellent professeur, un esprit fin et curieux. Sa méthode et le contenu de ses cours me plurent d’emblée et j’eus beaucoup de plaisir à travailler avec lui.

Nous étions 5 à vouloir nous présenter au concours d’entrée à l’EN dont mes camarades Jean Leforgeais et Jacques Guy. Nous avions droit à des dictées et des analyses grammaticales plus longues que le reste de la classe. Un jour, il me rudoya pour avoir osé écrire le titre « Mille et une nuit » sans « s » à nuit ! Nous devions enrichir notre culture générale par des lectures supplémentaires. De plus, M. Appeau n’hésita pas à nous réunir chez lui, à St Hilaire St Florent, le samedi après-midi, pour préparer bénévolement l’épreuve redoutée du commentaire de texte au concours d’entrée qui ne faisait pas partie du programme de 3ème. Il nous polycopiait des extraits d’auteurs accompagnés de questionnaires précis qui nous obligeaient à structurer notre pensée et à rédiger avec rigueur et concision. Nous apprîmes, au détour de la conversation, qu’il préparait (ou avait préparé ?) lui-même sa licence de lettres modernes par correspondance à l’université de Poitiers où il se rendait un jour entier par semaine. Il voulait ensuite passer son CAPES pour devenir professeur certifié.

Son exemple m’a beaucoup inspiré puisqu’en 1963, j’ai suivi le même chemin, dans les mêmes conditions de travail, combinant mes 30 heures de cours au collège de Gennes et mes études par correspondance, me rendant une journée entière à Poitiers, pendant 5 longues années...

...C’est justement à Poitiers que je rencontrai Gérard Péan le jour de l’examen de Propédeutique en juin 1964. Un chic garçon, aux lunettes fines, à la mèche de cheveux blonde plutôt rebelle, très cultivé et très sympathique, comme Josette sa soeur, et qui voulait devenir comme moi et son ami Colliot professeur certifié d’anglais. Il enseignait au collège de Montélimard... J’avais été heureux de rencontrer un de mes « modèles ». Malheureusement, il disparut tragiquement lors d’une plongée sous-marine au large des Corbières et Colliot fut tué dans un accident de la route...
 

...Le concours d’entrée à l’EN approchait. Avec M. Vallès, nous, les cinq candidats, montions au Clos Coutard pour répéter inlassablement les « mouvements » et autres épreuves obligatoires ou en option. Un menuisier venait de temps en temps aux Récollets pour nous apprendre à réaliser des mortaises et autres assemblages indispensables à connaître pour exécuter une « pièce » de menuiserie en temps limité...

...En 1956, je fus le seul élève des Récollets à avoir été reçu au concours d’entrée. Le soir de la proclamation des résultats, en arrivant dans la rue de Terrefort où ma mère m’attendait, entourée de tous les voisins, j’eus la grande surprise de voir arriver derrière moi M. Appeau sur son grand vélo aux grandes sacoches accrochées à son porte-bagages.  « Félicitations, Beuzon, tu l’as bien mérité ». Il me serra la main. Il était très ému. Il était heureux pour moi et pour ma mère avec laquelle il faisait parfois un brin de causette à St Florent. J’ai su par la suite qu’Il avait téléphoné plusieurs fois à ma mère sur son lieu de travail : « Alors, le fils ? » pour finalement s’entendre dire : « Il est reçu, il arrive par le premier train... » Sa présence m’honorait. Ma réussite était aussi la sienne et je fus heureux de la partager avec lui parmi les miens....Moment exceptionnel qui resta gravé dans ma mémoire...

...En septembre 1956, j’intégrai donc l’Ecole Normale d’Instituteurs d’Angers, heureux et fier. Je fermais définitivement le chapitre de mon enfance pour en commencer un autre riche en promesses d’avenir... »

(Pour la petite histoire, j’accomplis l’un de mes stages de formation en 4ème année d’Ecole Normale chez Guy Bahuault à St Florent-le-Vieil, un « ancien des Récollets », comme je l’ai appris récemment. Souvenir inoubliable d’un maître très rigoureux et passionné par son métier.

MM. Boidron, Gasnault et Bahuault me firent aimer l’Histoire. Cependant, je ne suis pas devenu professeur d’Histoire. J’ai préféré l’anglais (petit clin d’oeil de reconnaissance à M. Mercier). J’ai eu beaucoup de satisfaction d’accueillir dans mes classes quelque 50 professeurs stagiaires du CPR de Nantes puis de l’IUFM d’Angers. Mes pairs me firent l’honneur d’une promotion exceptionnelle. Mais, depuis quelques années, ma passion pour l’Histoire m’a amené à la Généalogie et à créer mon propre site sur internet.

 J’eus la chance d’être moi-même formé par des enseignants remarquables auxquels je voue une reconnaissance infinie.

Que cet extrait choisi de mes « Souvenirs d’enfance » en soit un témoignage)



André BEUZON
Les Récollets 1953-56